Rencontre 2012 avec Edouard Waintrop

 

Edouard Waintrop, délégué général de la Quinzaine des réalisateursAprès deux années moroses pour la Quinzaine des réalisateurs qui semblait avoir perdu son esprit de découverte aventureux pour tomber dans le cliché du film cannois (chiant, quoi) sans même en avoir la qualité, Edouard Waintrop reprend la barre, avec le sourire. Cette première édition a été marquée par la comédie intelligente, l’engagement auprès de cinéastes indépendants, et surtout le plaisir retrouvé. Les festivités à peine terminées, rencontre avec un délégué général passionné pour faire le bilan de la Quinzaine des réalisateurs 2012.

 
Comment avez-vous vécu cette première édition ?

Très bien. Très très bien depuis le début. Pour moi, c’était un honneur mais surtout un plaisir. J’ai toujours pensé que ce n’était pas si difficile que ça, que ceux qui ont échoué, c’est qu’ils avaient merdé quelque part. Il y aura toujours entre une quinzaine et une vingtaine de films intéressants. Je ne me suis jamais fait de bile. Du coup, ça a été un long plaisir de quatre mois et une sorte d’extase pendant dix jours. Une vraie jouissance d’être là, de voir le public, d’être confronté à des problèmes techniques en général résolus dans la nuit, de discuter avec les contrôleurs, avec les filles qui vendent les billets… De voir le Festival vivre. C’est un plaisir extraordinaire. Et voir le public rentrer dans les salles, et puis en sortir, le plus souvent – pas toujours parce qu’on a quand même fait quelques impairs – avec la banane. C’était un plaisir total.

Vous sembliez souvent assez ému aux côtés des équipes de films à l’issue des projections…

Adieu Berthe, l'enterrement de Mémé de Bruno PodalydèsParce que l’émotion se partage. Elle est communicative. Et comme eux étaient émus par l’accueil du public, j’étais ému par leur émotion. Et le public cannois est un public formidable. Ce sont des gens qui viennent du monde entier, et qui ont un grand allant pour les films. Aller dans une salle de cinéma, c’est déjà un acte volontaire qui coupe avec la routine télévisuelle, mais aller à Cannes pour voir des films… Le public cannois, c’est le meilleur du public parisien, le meilleur du public nantais, le meilleur du public lyonnais… Et puis, il ne faut pas oublier que Cannes, malgré l’image qu’on en a, bénéficie d’un réseau associatif culturel au maillage serré. L’une de ces associations les plus importantes, c’est Cannes Cinéma avec Cannes Cinéphiles et ses dizaines si ce n’est ses centaines de gens réellement motivés par le cinéma. La Quinzaine est la seule sélection où il y a une majorité de public par rapport aux professionnels. C’est intéressant parce que quand il y a schisme entre le public et la critique, on le voit tout de suite. Il suffit de voir une salle qui applaudit debout et de lire la presse le lendemain ! C’est arrivé, encore cette année, même si les films ont été plutôt bien accueillis par la presse. Donc il faut les respecter, et je crois qu’ils ont senti que je les respectais. Ils ont eu du plaisir, et comme les films étaient peut-être à la hauteur de leurs attentes, c’est ce qu’ils nous ont renvoyé, et en premier lieu aux équipes de films. Je me souviens du dimanche où il y a eu coup sur coup Une famille respectable, Infancia clandestina, et Adieu Berthe : les trois équipes étaient en larmes. Pour Adieu Berthe, Isabelle Candelier pleurait, Denis Podalydès m’a serré le bras très fort en me disant merci – mais à tel point que j’ai dû lui demander de me lâcher parce que ça faisait mal – tellement il était ému. Le lendemain, Bruno Podalydès m’a dit qu’ils avaient déjà eu des applaudissements, mais des applaudissements de politesse. Là, on a senti que les gens étaient vraiment là. Ca faisait trois ans qu’il n’y avait pas eu de comédie, il était temps que ça cesse.

Quel bilan vous tirez de ce renouveau que vous avez voulu insuffler ?

C’est un peu tôt pour dresser un bilan, mais disons que ça a marché. Ca a marché aussi sur le contraste avec l’année précédente, donc il faut modérer l’enthousiasme. Et puis moi je sais ce qui n’a pas si bien marché que ça, y compris dans la sélection où j’ai fait des erreurs de débutant. Il y a des choses que je ne referai pas, mais ça a marché, et c’est le principal. Le public a retrouvé sa Quinzaine, la presse aussi. Maintenant il faut que l’année prochaine, on aille plus loin.

Vous pensez avoir eu plus de pression cette année, après les deux années précédentes, ou vous en aurez plus l’an prochain, après cette réussite ?

La Quinzaine des réalisateurs 2012Je n’en ai pas eu beaucoup cette année. Franchement, arriver après ce tas de ruines, ce qu’il fallait, c’était donner l’impression à l’équipe qu’il y avait vraiment un changement. D’abord, ils ont vu le changement de personnalité. Après, c’était bien de travailler dans la joie, mais il fallait que ce soit de bons films qu’on choisisse. Donc à partir du moment où on commence à voir des films, on commence à comprendre qu’on n’est plus dans le même esprit. La pression, c’était de faire en sorte que tout le monde travaille ensemble, et finalement l’équipe avait une envie folle de retrouver le plaisir qu’elle avait perdu. Donc tout le bénéfice était pour moi. Cet esprit, je pense qu’on va le garder. Ensuite, si ce qu’on a de plus comme pression, c’est que davantage de gens voudront être à la Quinzaine, c’est plutôt positif parce qu’on aura plus de choix. Je n’ai aucun mal à dire non, donc il n’y a pas de problème là-dessus. La seule chose, peut-être, ce sera ceux qui réagiront mal à ce succès, mais ça…

 
Vous étiez vous-même un spectateur cannois avant de prendre les rênes de la Quinzaine ?

Oui, j’ai même été dans le jury de la Caméra d’or en 2009. Et surtout, avant je couvrais le Festival pour Libération, après l’avoir suivi de manière plus personnelle. La première fois que j’y suis allé, c’était en 1976… Et finalement, le meilleur endroit pour être au Festival de Cannes, c’est d’être délégué général de la Quinzaine ! Je n’avais jamais eu autant de plaisir. On voit moins de films, mais on a un rapport avec les cinéastes extraordinaire. On est proche d’eux, on est ému avec eux, on a les mêmes attentes. Sur un film, que je ne nommerai pas, mais sur lequel j’avais fondé beaucoup d’espoir, comme on savait que c’était un film qui sortait de nulle part et qui représentait un engagement fort de la Quinzaine, on espérait ne pas s’être plantés. Et puis, ça a été très fort de s’apercevoir que le public disait « Non, vous ne vous êtes pas trompés », et que les professionnels disaient aussi « Non, vous ne vous êtes pas trompés. » C’est fou ce qu’un délégué général peut avoir peur de se montrer à poil. Eh bien voilà, je me suis montré à poil, et je suis content parce que les gens m’ont trouvé beau !

Pour revenir à l’origine de la Quinzaine, est-ce qu’il y a un projet politique, dans la sélection, dans la façon dont le festival est conçu ?

Oui, à condition de mettre la politique où elle doit être. Proposer un lieu d’échanges, de convivialité, d’idées, de débats, c’est déjà, dans ce maelström d’eau glacée qu’est Cannes, un projet politique. Il y a eu la réception par des cinéastes français de cinéastes étrangers, quatre débats, des Q&A dans la salle à l’issue de la projection pour toucher 200 ou 300 personnes plutôt que 40 ou 50 quand ça se passait à la Malmaison… Tout ça, c’est du changement, et c’est du changement qui signifie quelque chose politiquement. Si au lieu de rester entre professionnels de la parole, on donne la possibilité d’écouter à 500, ça s’appelle la démocratie. On est dans ce processus-là.

Ca se joue aussi dans le choix des films ?

Non, il n’y a rien de moins démocratique qu’une sélection. La démocratie est dans la manière de faire partager les films. Mais la sélection, elle n’a pas vocation à être démocratique, elle est liée au directeur général et au comité de sélection.

Mais elle est liée à la volonté de montrer un certain type de cinéma…

No de Pablo LarrainDans l’idée de montrer un cinéma plus léger que dans la sélection officielle, et plus libre. Faire des tentatives un peu baroques – je pense à No, par exemple, qui a été un des grands films de la Quinzaine. On voulait des films audacieux, mais avec une audace consommable par le public.

Concrètement, pouvez-vous nous expliquer comment se fait une sélection ?

On voit 1 400 films. Dans l’ensemble, je précise. On a dû voir chacun 600 ou 700 films. Cannes, c’est le show, mais ça c’est vraiment la partie travail ! On en reçoit 1 100, et on en voit environ 300 en plus, par exemple dans des festivals locaux dans des pays lointains ou lors de voyages organisés par des pays, comme en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Angleterre… Là, on peut voir 30 ou 35 films en trois jours. Ensuite, on discute entre nous, parfois je prends des décisions totalement unilatérales, sur trois, quatre films. Et puis d’autres films sont poussés par d’autres gens et d’autres encore sont choisis à l’unanimité. Ca a été le cas de No, de The We and the I, ou de Une famille respectable, par exemple.

Quelle relation avez-vous avec les autres sélections cannoises ? Il y a parfois cette idée que vous vous « piquez » des films, comme Tetro, ou cette année The We and the I ?

Non, non, on ne pique rien ! C’est le distributeur qui décide, souvent. Pour le film de Michel Gondry par exemple, ça s’est joué entre nous et Un Certain Regard, et c’est souvent le cas. Ca l’a été également pour A perdre la raison de Joachim Lafosse, qui a fini à Un Certain Regard. C’est vrai que cette année, à cause des deux années qui ont précédé, il fallait beaucoup d’imagination aux distributeurs pour penser que ce serait mieux chez nous ! Mais on a su les convaincre que ce serait plus détendu. On est parti avec un lourd passif, mais nous ne l’aurons plus l’année prochaine.

Ce qui était marquant dans cette Quinzaine, c’est qu’on a beaucoup ri. Est-ce une nouveauté que vous avez eu du mal à imposer ?

Je ne l’ai pas imposé, ce sont les films qui l’ont imposé. Je voulais mettre des comédies à la Quinzaine, c’est vrai, mais, à titre d’illustration, le film que je pensais programmer comme LA comédie de la Quinzaine, on ne l’a finalement pas pris. Parce que d’autres comédies sont arrivées, auxquelles je ne m’attendais pas, comme Adieu Berthe, Camille redouble, Touristes, qu’on a vus pas aussi bien terminés qu’aujourd’hui, ou qui sont arrivés tard… D’ailleurs, Adieu Berthe et Camille redouble se ressemblaient dans leur manière d’être produits : ils avaient les mêmes acteurs (Noémie Lvovsky, Samir Guesmi, Denis Podalydès, Michel Vuillermoz…), qui souvent faisaient des seconds rôles dans l’un et des premiers dans l’autre, distribués par deux monstres, à savoir UGC pour l’un et Gaumont pour l’autre. Mais les deux films m’ont totalement convaincu, donc ces considérations-là passent ensuite. En les mettant suffisamment loin de l’autre dans le festival, on a eu du coup l’avant et l’après Podalydès, puis l’avant Noémie Lvovsky.

Vous avez des fiertés particulières ?

Rengaine de Rachid DjaidaniIl n’y a pas de fierté à avoir, mais Rengaine est un film auquel je croyais beaucoup, No est pour moi l’un des plus beaux films que j’ai vu ces dernières années. No, The We and the I, Camille redouble, Adieu Berthe, Touristes, Room 237, Le Repenti, Une famille respectable, Gangs of Wasseypur, Fogo sont tous des fiertés. Gangs of Wasseypur, on s’est battus pour l’avoir ! Et puis au final, je suis content. Même le Hollywood Reporter a écrit « The film that puts Tarantino in a corner ». Donc évidemment, quand Anurag Kashyap, le réalisateur, a lu ça, il était content d’être venu ! Dans d’autres papiers, on disait que c’était l’un des trois films qu’il fallait avoir vu. Anurag était l’un des scénaristes du mouvement « Mumbai noir », qui était un genre que j’avais envie de représenter. Malheureusement, il était à son apogée au début des années 2000, moins maintenant, donc j’avais peu de chance d’y arriver. Et puis j’ai fait la connaissance d’Anurag à Berlin, où il m’a donné une copie pas terminée, sans le mixage son notamment… Il fallait y croire ! Mais quand je l’ai montré autour de moi, ça fonctionnait. Et un film indien qui plaît autant à des non-Indiens, je ne pouvais pas passer à côté. Lors de la séance de 5h30, 500 personnes sont restées sur les 600 qui étaient entrées ! Pour Anurag, c’était un gros coup. Il a été remarqué par les professionnels internationaux.

Finalement, quel a été votre plus grand moment à la Quinzaine ?

La clôture. Parce que la clôture dans un festival, c’est un moment faible. Et pour nous, c’était un moment fort. Donc ça veut dire qu’on avait changé quelque chose. C’est très émouvant de voir que les gens sont encore mobilisés à la fin. Et ca a été un moment fort dès le matin, à la première séance de Camille redouble. D’habitude, les applaudissements sont modérés, et on voit leur soutien au film s’ils restent pour le débat. Là, non seulement ils sont restés pour le débat, mais ils étaient debout, ils criaient… Donc on savait que le soir, ce serait fou. Le distributeur d’ailleurs avait peur d’être en clôture, mais je l’avais prévenu qu’il n’y aurait pas de baisse de tension, et j’ai eu raison.

La sélection se joue également à la programmation ?

Edouard Waintrop, délégué général de la Quinzaine des réalisateurs 2012On a mis beaucoup de films sur lesquels on était sûrs au début, et ensuite des films sur lesquels on faisait des paris. Il fallait d’abord assurer la force de la sélection, sa crédibilité, et une fois que le public aurait été touché, se serait marré quatre jours, il nous aurait suivi en pensant que ça valait le coup. C’était ma théorie. Si Rengaine avait été placé au début, ça aurait peut-être aussi bien marché, mais je ne voulais pas prendre de risque, donc je l’ai passé le lundi. Il fallait d’abord que les gens se disent que le film devait être intéressant puisqu’il était sélectionné.

 
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