Avec Room 237, Rodney Ascher nous plonge dans l’antre de l’Overlook Hotel de The Shining. Mais pas au cœur de sa fabrication, au cœur de son interprétation par des universitaires et artistes qui ont pour point commun l’obsession du détail et l’extrapolation.
Entre The People vs George Lucas et Le Grand Détournement, Room 237 fascine et amuse. Les grands réalisateurs suscitent des réactions irrationnelles. Pourtant, les intervenants de ce documentaire font des démonstrations presque mathématiques. Il y en a un qui est obsédé par le nombre 42. Parce que 42, comme le début de la solution finale. Parce que 2x3x7 = 42. Parce que la machine à écrire de Jack Nicholson est de marque allemande, et qu’elle change de couleur au cours du film. Et comme cela n’arrive pas souvent qu’une machine à écrire change de couleur spontanément, comme Stanley Kubrick n’est pas homme à laisser les choses au hasard, tout cela veut certainement dire quelque chose. En l’occurrence que The Shining est un film sur la Shoah. Les autres théories, tout aussi farfelues, sont étayées avec autant de pertinence et de détails. The Shining serait donc un film sur le génocide des Indiens d’Amérique (parce qu’on voit apparaître clairement des boîtes de conserve estampillées « Calumet »), ou sur tout ce que Stanley Kubrick a dû faire pour cacher le fait qu’il a réalisé le film des premiers pas sur la Lune (parce que Danny porte un pull Apollo 11).
Ces interventions, illustrées, démontrées par les images du film de Kubrick, mais également par des images d’autres films (Les Hommes du président, quand l’un d’entre eux dit se souvenir de sa descente au parking en sortant de la salle, à sa première vision de The Shining, un homme rustre ou fou devant sa télé, pour évoquer la figure de Stephen King devant le film, ou les déambulations de Tom Cruise dans Eyes Wide Shut, en regard des propres déambulations intellectuelles de celui qui parle), deviennent alors alternativement convaincantes, absurdes et drôles. Le réalisateur les regarde avec grande distance quand les discours sont totalement immergés dans la certitude de leurs théories. Bref, Room 237 interroge, intrigue et amuse beaucoup.
Et parmi les théories échafaudées, certaines sont purement cinématographiques, et passionnantes. Avec infinis détails, on nous souligne les rappels géométriques d’un plan à l’autre, l’incohérence des plans de l’hôtel (l’une des intervenantes est particulièrement perturbée par la fenêtre du bureau du patron de l’hôtel, qui n’a rien à faire là) et surtout, on nous explique la symétrie de la narration, en projetant le film simultanément, et en superposition, à l’endroit et à l’envers. Effet saisissant. Le Jack Nicholson du début du film se confond avec son double devenu fou, Danny intervient dans les conversations, témoin omniscient de ce qui se trame.
Mais au delà de l’amusement, de ce que l’on peut apprendre sur le film, ce qui fascine dans Room 237, c’est l’aura de Stanley Kubrick et de son film. Qui rend les spectateurs obsédés par les détails, cherchant à tout comprendre, à tout expliquer, persuadés que les indices cachés fourmillent. On est alors, si on ne l’était pas déjà, certain d’être en présence d’une œuvre si riche que l’on peut tout y trouver. Le théoricien du complot en déjoue un, l’historien de la Seconde Guerre mondiale ne voit que la Shoah. Un film sur un délire obsessionnel qui en engendre un autre.
Room 237 de Rodney Ascher, avec Bill Blakemore, Geoffrey Cocks, Juli Kearns, John Fell Ryan et Jay Weidner. Etats-Unis, 2012. Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs 2012. Sortie le 19 juin 2013.
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