La Quinzaine des réalisateurs 2012

 

Le vent du changement

La Quinzaine des réalisateurs 2012Pour tout vous dire, la première fois que j’ai foulé la Croisette, on était en 2007 et Nicolas Sarkozy venait d’être élu. Le monde du cinéma n’était pas en extase, et pourtant le bling-bling cannois se sentait à l’aise. Un quinquennat et une élection plus tard, j’ai hâte de savoir si cette édition cannoise sera « normale », apaisée, réconciliée. En attendant, le changement se fait déjà sentir à la Quinzaine des réalisateurs, après l’année morose de Frédéric Boyer qui avait vu la Semaine de la critique attirer toutes les attentions et sa Quinzaine, toutes les critiques.

Nouveau venu à la tête de cette sélection, Edouard Waintrop balaie tout ça d’un revers de main, et ose affirmer que la comédie a sa place dans les festivals, réputés sérieux, graves – voire glauques, faut dire. Parce que 1/ c’est bon de rire parfois (même quand on n’a pas envie), et 2/ selon lui, la comédie offre souvent une forme de cinéma beaucoup plus libre. Résultat, au programme : Michel Gondry (The We and the I), Bruno Podalydès (Adieu Berthe, l’enterrement de mémé), Quentin Dupieux – alias Mr. Oizo, déjà coupable de Rubber – (Wrong Cops), et une adaptation de Daniel Pennac par les auteurs de Panique au village (Ernest et Célestine, de Vincent Patar et Stéphane Aubier). Par ailleurs, à la conférence de presse, Edouard Waintrop a fait un sale coup à un petit film qui n’avait rien demandé, et a tellement survendu cette comédie “mal pensante”, “méchante”, et hilarante, que tout le monde a hâte et que tout le monde sera déçu. Du coup, par sympathie irrationnelle pour le pays d’origine dudit film, je n’en dirai rien, pour ne pas spoiler.

Sinon, il nous a fait le coup de la surprise, comme à chaque fois – comme si un jour, un directeur de festival présentait sa sélection en disant “Bon, je vous préviens, ce sera chiant à mourir et de toute façon, on a déjà tout vu douze fois.” Mais reconnaissons que certains films intriguent. Notamment une adaptation des Liaisons dangereuses dans le Shanghai des années 1930, réalisée par un Coréen et qu’on nous promet “particulièrement jubilatoire, sombre et cruelle” (Dangerous Liaisons, de Jin-ho Hur), et surtout une saga indienne de 2×160 minutes, s’étalant sur quarante ans, entre Bollywood et polar, où l’humour est permanent (Gangs of Wasseypur, de Anurag Kashyap).

En même temps, on n’est pas là pour déconner non plus – d’ailleurs, on soupçonne l’organisation de délibérément régler la clim’ à -12°C pour qu’on ne se relâche pas trop. Comme les grandes émotions, c’est ce qui guide Edouard Waintrop dans les salles obscures, il espère nous faire passer du rire aux larmes, et nous sort des films sur le deuil et l’absence (Sueno y silencio, de Jaime Rosales), sur la situation des femmes franco-arabes (Rengaine, de Rachid Djaidani), la violence en Colombie (La Sirga, de William Vega) ou encore les enfants disparus de la place de Mai au Chili (Infancia clandestina, de Benjamin Avila).

Et comme la Quinzaine des réalisateurs a quand même une réputation à tenir, petit retour aux sources, en rappelant que cette sélection a été créée dans un projet politique, celui d’offrir un lieu où l’on peut échanger, dialoguer, bref, parler de Cinéma avec majuscule et respect. Alors, hop, on ressuscite les rencontres, et pas seulement avec les cinéastes sélectionnés, hop, on prend les spectateurs en otages (oui, j’utilise cette expression délibérément, parce qu’avec la gauche au pouvoir, je gage que Jean-Pierre Pernaut aura un peu moins l’occasion de faire des reportages sur les pauvres usagers “pris en otages” – me remercie pas, JP, celle-là, elle est pour toi) en proposant des débats directement après le film, dans la salle où il fait -12°C plutôt que sous la tente trop petite au soleil dans laquelle personne ne pouvait rentrer. Et hop, on propose un docu sur Kubrick (Room 237, de Rodney Ascher) et le dernier film de Raoul Ruiz (La Noche de enfrente).

Bref, après des années d’errance, de quête de soi, à asséner sa propre crédibilité, un petit retour aux fondamentaux, ça fait du bien, non ?