Un bonheur insoutenable
Précédé d’une flatteuse réputation validée par une pluie de nominations et de récompenses, notamment à Cannes et à Sitges, Vivarium aura eu le mérite d’animer une bien terne 27e édition du Festival de Gérardmer. Un film délirant, stupéfiant et signifiant qui méritait bien quelques confidences de la part de son jeune réalisateur irlandais. Rencontre avec Lorcan Finnegan.
Vivarium est une fable surréaliste, métaphorique et cruelle. Êtes-vous d’accord avec cette définition ?
Oui, tout à fait. Même s’il y a tout un tas d’autres interprétations possibles.
Sans oublier sa dimension politique…
Sociopolitique serait plus juste.
Justement, quels sont les sujets qui parcourent Vivarium ?
Même si chacun y trouve l’interprétation qu’il souhaite, pour moi Vivarium est un point de vue sur un certain mode de vie que l’on a voulu nous vendre comme idéal à partir de la fin des années 1950. En réalité, c’est un modèle absurde et atroce ! Je ne parle évidemment pas de tous les lotissements ni de toutes les banlieues pavillonnaires mais plutôt de ces programmes immobiliers aberrants qui ont poussé au milieu de nulle part. Ils favorisent l’individualisme tout en brisant les individus. Les promoteurs y vendent très cher du rêve à grand renfort de marketing à des gens qui y seront prisonniers pour la vie. Une vie de cauchemar qu’ils vont passer à rembourser des prêts où les contacts sociaux sont réduits au minimum et où il doivent faire des kilomètres en voiture chaque matin pour aller travailler. C’est quand même très étrange de faire ce choix de vie…
Comment est née l’idée du film ?
Du boom économique qui a eu lieu en Irlande entre 2005 et 2008. À ce moment-là, ces programmes immobiliers ont poussé comme des champignons à travers tout le pays. Les banques accordaient des prêts sans compter et le gouvernement en tirait de gros bénéfices. Mais quand, en 2008, la crise des subprimes a éclaté, ceux qui avaient acheté se sont retrouvés piégés dans ces endroits sans âme. Revendre leur maison devenait impossible, personne ne pouvant plus les acheter, alors que leur niveau d’endettement grossissait dangereusement. Ces lotissements sont devenus des sortes de cimetières. J’ai connu personnellement pas mal de personnes dans ce cas… Ce sont toutes ces idées autour d’un contrat social mensonger que nous avons voulu explorer avec le scénariste Garrett Shanley.
Votre vision est sombre. Pensez-vous que nous ayons définitivement perdu la partie face à ce système ?
Sans doute pas si nous nous rendons compte de ce qui se trame à notre insu. La petite fille au début du film n’aime pas ce qu’elle voit (des oisillons morts après avoir été éjectés de leur nid par d’autres poussins plus forts) et c’est bien ! La prise de conscience est indispensable pour les générations futures.
Y aurait-il derrière tout ça une forme de dictature du bonheur ?
Sans doute est-ce la marque du capitalisme de nous imposer un idéalisme illusoire…
Quel est le sens de cette scène d’ouverture naturaliste avec les oisillons ?
Il s’agit de coucous, une race d’oiseaux qui pond dans le nid des autres avant d’abandonner ses œufs. Une fois nés, les poussins coucous dégagent du nid les autres oisillons pour être élevés et nourris de façon exclusive par leurs parents d’adoption. Ils ont un comportement de parasites. Après avoir vu un documentaire sur les coucous, avec Garrett nous nous sommes dit qu’ils feraient une bonne métaphore des promoteurs immobiliers. Voilà comment est née une des idées principales de l’intrigue. Sinon, c’est également une référence à la violence de la sélection naturelle qui sévit au sein de toutes les espèces, humains compris.
Quel est le rôle des deux classiques de ska jamaïcain(1) des 60’s que vous utilisez ?
Ce sont des chansons qui parlent de pauvreté sur un rythme ensoleillé. De révolte sociale dans la bonne humeur. C’est à la fois de super morceaux et de formidables contrepoints, d’abord entre paroles et musique, puis entre la musique et la situation désespérée du couple à l’écran.
Pourquoi avoir choisi le film de genre pour traiter votre sujet ?
Le film fantastique permet d’avoir une grande liberté et de laisser libre cours à sa créativité. En se coupant de toute représentation du réel, on peut exagérer à souhait, utiliser toutes les perspectives que l’on veut pour montrer la complexité et l’étrangeté de nos comportements.
Quelles ont été vos références pour ce film ?
L’influence graphique de Magritte est évidente et était présente depuis le début dans le scénario. Je pense aussi aux films du Suédois Roy Andersson, notamment pour la lumière et la photographie, à La Femme des sables (1964) de Hiroshi Teshigahara, au Dernier Survivant (1985), un film de SF post-apocalyptique de Geoff Murphy et à Lost Highway de David Lynch.
Et vos films préférés ?
Qui sait, je ne les ai peut-être pas encore vus… Sinon, j’ai grandi avec les films d’horreur et les épisodes de Twilight Zone à la télévision, les films de David Cronenberg. J’aime tous les genres de films, du moment que c’est du bon cinéma. En aparte, j’aimerais dire qu’on me parle souvent de Black Mirror comme si c’était une référence de Vivarium. Mais la vérité est que le projet a été initié bien avant la diffusion du premier épisode de la série, qui est excellente par ailleurs.
Votre prochain projet sera-t-il toujours un film fantastique ?
Ce sera effectivement un thriller surnaturel sur le thème de la vengeance. Il y aura encore une dimension politique puisqu’il évoquera l’exploitation humaine en Asie liée à l’industrie occidentale de la mode. Grâce au cinéma, on peut envoyer des messages importants au plus grand nombre. Quoi qu’il en soit, j’ai besoin d’une thématique forte pour aller au bout d’un projet.
(1) A message To You Rudy (Dandy Livingstone, 1967) et 007 (Desmond Dekker, 1967).
Vivarium de Lorcan Finnegan, avec Jesse Eisenberg, Imogen Poots. Etats-Unis, Irlande, 2019. En compétition au 27e Festival du film fantastique de Gérardmer. Sortie le 11 mars 2020.