The Voices, de Marjane Satrapi

 

The Voices, de Marjane SatrapiPortée aux nues en 2007 avec sa propre adaptation de Persepolis (coréalisée par Vincent Paronnaud), puis progressivement descendue de son piédestal avec un Poulet aux prunes joli mais trop propret puis une Bande des Jotas qui a laissé critiques et public sur le banc, Marjane Satrapi revient avec The Voices. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’auteur-réalisatrice ne se cantonne pas à un genre. Elle ose l’animation engagée, le conte hybride, le western ibère et désormais la comédie horrifique.

The Voices, c’est l’histoire de Jerry (Ryan Reynolds), manutentionnaire un peu simple d’esprit qui tombe amoureux de sa collègue Lisa (Gemma Arterton). Chez lui, Jerry parle avec son chien, compagnon de bon augure, et son chat, petite créature maligne à l’accent écossais. De mauvaises décisions en mauvaises décisions, Jerry va laisser sur son passage une quantité non négligeable de Tupperwares remplis de restes humains.

Le fil rouge est connu : un psychopathe tente tant bien que mal de contenir ses pulsions, et se retrouve à aligner les cadavres par obligation, pour couvrir ses traces, jusqu’à ce que le piège se referme sur lui. Mais c’est moins l’histoire (non écrite et non scénarisée par la réalisatrice) que le traitement choisi qui fait de The Voices une œuvre à part et réussie. Dans le fond comme dans la forme, Marjane Satrapi s’affranchit des codes du genre. D’abord, avec les éléments principaux de l’intrigue : un chat et un chien qui parlent et conseillent Jerry, tels un diablotin et un ange sur chaque épaule. Les dialogues à trois offrent quelques moments d’anthologie d’humour noir. Mais c’est aussi une multitude de détails et de trouvailles qui affluent et évitent à The Voices longueurs et essoufflement. L’apport de Marjane Satrapi est précieux : sa vision de l’Amérique des grands espaces sied à merveille à sa mise en scène, qui semble tout droit issue de la ligne claire de bande dessinée. Une vision presque onirique des Etats-Unis, aux couleurs désuètes mais charmantes, teintée de l’optimisme simplet de son personnage principal – du moins, tant que les médicaments prescrits par sa psychiatre et non absorbés ne le ramènent pas à la dure réalité, sale et sans espoir. La dure réalité, Marjane Satrapi la convoque dans The Voices à intervalles réguliers, rattrapant le spectateur lorsque la comédie semble prendre le dessus. Le film passe ainsi d’une vision enchanteresse de la vie (celle fantasmée par Jerry, rose et ordonnée) à la plus terrible noirceur (notamment le temps d’un flash-back parfaitement amené). Jubilatoire, mais jamais vain.

Œuvre internationale, genre flou entre l’horreur et la comédie, traitement très personnel qui pourrait déstabiliser le public… Si Marjane Satrapi a pris déjà beaucoup de risques avec The Voices, elle en rajoute pourtant un : confier à Ryan Reynolds, acteur en perte de vitesse depuis un bon moment, le rôle de Jerry. Résultat inattendu : l’acteur est si parfait dans le rôle du tueur sympa et pathétique qu’on se demande longtemps après le générique de fin, sans trouver de réponse satisfaisante, qui d’autre aurait pu officier dans ce triple rôle (Reynolds prête aussi sa voix à ses deux animaux de compagnie). Pour une Bande des Jotas décevante, un The Voices débridé et génial : Marjane Satrapi est de retour.

 
The Voices de Marjane Satrapi, avec Ryan Reynolds, Anna Kendrick, Gemma Arterton… Allemagne, France, Etats-Unis, 2014. Présenté en compétition au 22e Festival du film fantastique de Gérardmer. Sortie le 11 mars 2015.