Babadook : Rencontre avec Jennifer Kent

 

On vous en disait déjà le plus grand bien en début d’année, quand il a remporté (presque) tous les prix au Festival de Gérardmer : à peine sorti, Mister Babadook est déjà en passe de devenir un classique du film d’horreur, aux côtés de Rosemary’s Baby ou de Shining, chefs-d’œuvre auxquels ce premier long-métrage de Jennifer Kent rend hommage. Normal, donc, depuis six mois qu’on trépigne d’impatience à l’idée d’encourager tous nos amis à aller le voir (en salle ce 30 juillet 2014), qu’on ait sauté sur l’occasion de rencontrer la réalisatrice australienne. Elle a accepté de se prêter à un jeu un peu différent de l’interview classique en réagissant comme bon lui semblait aux photos qu’on lui présentait. Résultat : une rencontre en mosaïque où l’on parle du besoin d’affronter ses peurs, de créativité imposée, de livre maléfique, de classiques de l’horreur, d’expressionnisme allemand, de vision d’auteur et de jeu d’acteur.

Naissance

Monster, court-métrage de Jennifer Kent

« Dans Monster, l’énergie du film se transférait dans la poupée. Comme l’énergie du Babadook se transfère dans le livre. Je voulais que les deux films se déroulent à hauteur d’enfant. C’est fou que cette idée soit restée aussi longtemps en moi ! Quand j’ai fait Monster, je ne me doutais pas du tout que je ferai un autre film avec un point de départ si proche. Je suis quelqu’un qui aime bien se confronter, c’est dans mon sang. Les gens qui réussissent à ne pas faire face à leurs difficultés, à étouffer leurs peurs, ça me fascine. C’est ce qui m’a donné envie de réaliser Monster, et puis j’ai voulu aller encore plus loin dans mon raisonnement, c’est pourquoi j’ai transformé mon court en long-métrage. »
 

Créativité

Plateau du tournage de Babadook

« Comme nous avions un budget très serré [environ 40 000 dollars, récoltés en partie grâce à la plateforme de financement participatif Kickstarter, ndlr], on devait être très organisés. Pour que ça fonctionne on a été obligés de penser à tout avant même de commencer à construire le plateau. Par exemple la maison de Babadook a deux étages, c’était un élément important du film, mais on a tout construit sur un seul niveau pour respecter le budget. On a énormément travaillé en amont avec le directeur photo, et finalement, je crois que c’est très bien, le manque d’argent a apporté plus de liberté et de créativité. Ca nous a aidés à consolider notre vision du film… Mais j’aimerais quand même avoir un tout petit peu plus d’argent pour mon prochain film ! »
 

Noah

Shining VS Babadook

« Noah [Wiseman, ndlr] est incroyable dans ce film. Il n’avait que 6 ans quand on a tourné. 6 ans, ça ne permet pas d’avoir beaucoup d’expérience ! C’était un vrai défi pour nous tous, mais ça en valait la peine. La veille du début du tournage, je me suis dit « Qu’est-ce que j’ai fait ? » Je savais qu’Essie Davis pouvait bien jouer son rôle, je la connaissais très bien, je connaissais son travail en tant qu’actrice. Mais avec un enfant on n’a aucune certitude, on ne sait jamais ce que ça va donner. J’ai essayé de le guider ; je lui ai raconté l’histoire du point de vue de l’enfant, ça l’a aidé à se concentrer et à s’identifier au personnage. Et puis ça a formidablement marché. La relation entre Essie et Noah était merveilleuse, elle a aussi beaucoup aidé à ce que ça fonctionne à l’écran tout en protégeant Noah des éléments les plus sombres de Babadook. »
 

Universel

Babadook, de Jennifer Kent

« Le personnage du père n’apparaît pas dans le film, mais pourtant il est très présent, puisque sa mort et les émotions qu’elle suscite sont au cœur de Babadook. Ca raconte qu’il est vain d’essayer d’enfouir ses sentiments pour le reste de sa vie. On pourrait trouver ces éléments dans un drame, mais comme je voulais que les gens les ressentent vraiment, je me suis dit que la meilleure façon de faire ça était d’exagérer le tout et de construire un monde qui « grossirait » la réalité. Le genre horrifique permet de pousser les sentiments à l’extrême beaucoup plus qu’un drame classique, je crois que ça rend le sujet plus universel. »
 

Horreur

Essie Davis dans Babadook, de Jennifer Kent

« Ma définition de l’horreur est très différente de celle de la majorité des gens. Pour moi, Lost Highway de David Lynch ou Funny Games de Michael Haneke sont des films d’horreur. Malheureusement, lorsqu’on utilise le mot « horreur », les gens pensent au sang, à la mort, à de mauvais scénarios, à des personnages superficiels, à un twist final… Ce sont les pires aspects du genre. Alors que des films comme ceux que je viens de citer, ou comme Shining, Morse, Les Diaboliques, Les Yeux sans visage sont des films puissants, parfois poétiques, la preuve qu’on peut faire de grands films d’horreur qui ont des choses à dire. Ce sont des œuvres qui m’ont inspirée pour Babadook. »
 

Fantasmagorie

Noah Wiseman dans Babadook, de Jennifer Kent

« Je risque de sembler naïve, mais je crois que le cinéma du début du XXe siècle avait vraiment une force qu’on a perdue aujourd’hui. Pour moi, c’est encore très puissant. L’expressionnisme montre à la fois ce qui se passe à l’extérieur et à l’intérieur des personnages. Les images étaient tellement évocatrices ! Tout comme les images de Georges Méliès, il a prouvé qu’on pouvait faire tant de choses avec une caméra sans forcément avoir besoin d’ordinateur. Je me suis sentie très inspirée par ses œuvres et ses « trucs » visuels, ça a quelque chose de sinistre et de naïf à la fois. »
 

Maléfique

Noah Wiseman aka Sam dans Babadook, de Jennifer Kent

« Noah était vraiment parfait pour ce rôle… Sur cette image il a l’air mignon mais un peu maléfique. Il y a quelque chose du Babadook en lui. Je suis ravie quand je vois cette photo, ça me fait encore dire que nous avons fait ce que nous voulions. Il faut d’ailleurs remercier Alex Holmes, qui est un chef décorateur fantastique. Il a vraiment compris ce dont on avait besoin, toute cette décoration superbe et comme venue d’une autre époque, c’est grâce à lui. Son travail est tellement détaillé, il a tellement d’élégance. Je suis très reconnaissante à toute l’équipe, et je veux continuer de travailler avec ces gens. »
 

Livre

Mister Babadook, le livre d'Alex Juhasz et Jennifer Kent

« J’adore cette photo, elle est tellement forte ! Je crois que cette page n’y est pas pour rien dans la légende du livre. J’étais très stressée, je savais que le livre avait une importance capitale dans le film, il ne fallait surtout pas le rater. Avec mon producteur, on adorait le travail de l’illustrateur Alex Juhasz. C’était notre référence, alors finalement on s’est dit : « Pourquoi on ne lui demanderait pas directement de le faire ? » Il était aux Etats-Unis, mais il est venu en Australie six mois avant le début du tournage et on a commencé à parler du livre Mister Babadook. Il s’est mis à travailler dessus, et voilà : c’est un ouvrage très simple mais qui donne la chair de poule ! Il a vraiment aidé à créer la légende du Babadook. »
 

Jeu

Essie Davis dans Babadook, de Jennifer Kent

« Tous les acteurs sont différents : c’est quelque chose que j’ai appris quand j’étais actrice moi-même. Il y en a qui intellectualisent leur rôle et qui travaillent les émotions, d’autres qui y vont plus à l’instinct. L’essentiel, c’est de savoir avec qui on travaille. Comme je suis aussi actrice, ça m’aide énormément pour les diriger. Mais je refuse d’être abominable avec mes comédiens, de les pousser dans leurs retranchements et de les manipuler comme des marionnettes. Je préfère une relation de confiance comme avec Essie, qui je connais de longue date. Au début j’étais un peu inquiète de travailler avec une amie. Je lui ai fait passer une audition juste pour voir comment elle envisageait son rôle. Essie déborde d’énergie, parfois je devais même la calmer un peu ! Dans la première partie son personnage est calme et doux, je devais donc la retenir… Et puis dans la deuxième partie du film, lorsque son personnage explose, je l’ai laissée faire, et c’était parfait. »
 

Spectatrice

Mister Babadook, le livre d'Alex Juhasz et Jennifer Kent : "you're going to wish you were dead"

« Quand je vais au cinéma, je ne veux pas forcément entrer dans un monde de fantasmes, mais je veux ressentir quelque chose d’inhabituel, que ce soit de la peur, de la tristesse ou de la joie. C’est pour moi le plus important. Je veux être connectée avec le réalisateur, avec son univers et ses personnages. Je déteste aller au cinéma pour rester les bras croisés et attendre tranquillement la fin. »

Merci à Yasmin Laure pour sa collaboration.

 
Mister Babadook (The Babadook) de Jennifer Kent, avec Essie Davis, Noah Wiseman, Daniel Henshall, Hayley McElhinney… Australie, 2013. Prix du jury Presse, Prix du jury Jeunes et Prix spécial du jury du 21e Festival international du film fantastique de Gérardmer. Sortie le 30 juillet 2014.