Dark Touch, de Marina de Van

 

Ma maison… Mon enfer, mon refuge

Dark Touch, de Marina de VanPremier des huit films en compétition à ouvrir le bal des prétendants au Grand Prix du 21e Festival de Gérardmer, Dark Touch affiche dès son générique la promesse d’une déchirante partition écrite en mode mineur. En quelques plans parfaitement maîtrisés, le prologue donne le La triste et dissonant d’un inconfortable drame surnaturel filmé à hauteur d’enfant. Neve a 10 ans et de sérieuses raisons de fuir le foyer familial. Lors d’une nouvelle nuit de souffrance, la maison, sa maison, théâtre discret de sa douleur muette, s’anime dangereusement. Saladier, tringle, buffet, crayons, lustre… Les objets du quotidien deviennent soudain des armes brutales et létales, empalant et mutilant avec une violence insensée. La maison se mue alors en une vierge de fer aux ordres d’un bourreau invisible et enragé dont seule Neve sera épargnée. Désormais orpheline, elle est recueillie au sein d’une famille amie et aimante. Neve y trouvera-t-elle le réconfort ? Quelle est cette force destructrice qui semble l’accompagner ? Malheureusement, ses larmes vont encore couler et le pire reste à venir…

Peu coutumière des pochades et des bluettes – Regarde la mer et Sitcom (actrice), Sous le sable (scénariste) ou le radical Dans ma peau (réalisatrice) – Marina de Van se mesure pour la première fois au cinéma fantastique tout en revisitant intelligemment la grammaire d’un genre rarement fréquenté par les femmes. Ici, pas de jump scare, pas de musique appuyant chaque effet, pas de terreur de consommation courante, mais une tension poisseuse imprégnant chaque plan composé avec une précision quasi obsessionnelle. Une mise en scène glaciale et glaçante, de facture résolument britannique, dans la veine d’Afterlife (2005 et 2006) – poignante série surnaturelle anglaise à la tristesse magnifique – où douleur sourde et tonalité dépressive sont habilement soulignées par un rythme ralenti, à des années-lumière des penchants racoleurs de l’industrie US de l’horreur prête à l’emploi. Il faut rappeler que Dark Touch est une coproduction européenne – tournée en anglais avec un casting irlandais – composée d’un attelage français, irlandais et suédois plutôt inédit mais qui donne tout son sens au parti pris stylistique du film. Dans une économie de dialogues en cohérence avec ses choix, et malgré quelques lignes un peu trop appuyées voire superflues, Marina de Van prend le temps de scruter les visages et de sonder les silences afin de mieux plonger dans la psyché abîmée de Neve – neige en italien, est-ce un hasard ? Dans le rôle de Neve, la jeune Missy Keating – débutante et, pour la petite histoire, fille du chanteur d’un boys band des 90′s – est une véritable révélation. C’est dans la grisaille et les larmes de son regard intense et magnifique que toute l’horreur de son histoire explose. Tour à tour effrayée et bouleversée, elle est à la fois un fragile petit être brisé et une redoutable maîtresse de la douleur et du châtiment – mater dolorosa – emportant tout dans sa fureur. Une performance, une vraie…

Hormis une dernière partie, formellement toujours aussi parfaite – comme cette scène de renversement des rôles où les enfants donnent le bain aux adultes – mais assez confuse dans le propos, Marina de Van réussit son premier film de genre, comme elle l’a rappelé en préambule de la projection. Dark Touch est un film dérangeant qui pénètre avec effraction dans les zones d’ombre de la nature humaine. Un conte moral, ou immoral – chacun se fera son idée – où s’exprime l’effrayante colère froide d’une auteure sincère.

Et l’ogre et la marâtre périrent dans un feu rédempteur… encore et encore. Pour Marina de Van, la résilience est une chimère.

 
Dark Touch de Marina de Van, avec Missy Keating, Padraic Delaney, Richard Dormer… France, Angleterre, Suède, 2012. Présenté en compétition du 21e Festival du film fantastique de Gérardmer. Sortie le 19 mars 2014.

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