We Are Still Here, de Teo Geoghegan

 

Sanglante crémaillère

We Are Still Here, de Teo GeogheganPeu après la mort accidentelle de leur fils, Anne et Paul décident de tourner la page en partant vivre dans une grande maison au cœur de la campagne de Nouvelle-Angleterre. Alors qu’ils s’installent dans leur nouvelle demeure, des phénomènes étranges et inquiétants se succèdent. Anne est persuadée que son fils tente de communiquer avec elle depuis l’au-delà. Pour en avoir le cœur net, et après avoir convaincu son mari, elle invite un couple d’amis qui en pincent pour l’ésotérisme. Malheureusement pour eux, les esprits qui habitent la maison sont extrêmement belliqueux et semblent avoir un contentieux à régler avec les villageois du coin. Le deuil d’Anne et Paul s’annonce mouvementé…

Pendant un festival de cinéma fantastique, les vraies bonnes surprises n’apparaissent bien souvent qu’aux aventuriers des zones obscures du programme. Ceux qui croient en la perle noire avec autant de ferveur mystique qu’un pèlerin paralytique en Bernadette Soubirous… Il faut y croire pour la voir. La perle, pas Bernadette… Ceci étant dit, et malgré une violente séance d’autopersuasion, le pitch éculé de We Are Still Here ne présageait rien de bon, ni de mauvais, d’ailleurs. Evoquant juste l’odeur rassurante et surannée des boules anti-mites. Au pire, on pouvait craindre un énième film de maison hantée déroulant paresseusement son sempiternel triptyque infestation-oppression-possession tout en espérant très fort connaître un léger frisson. Et l’impression se confirme dès les premières images, plutôt léchées au demeurant. La campagne américaine enneigée est triste à mourir, le couple ne l’est pas moins et leur nouvelle demeure sent le vieux tapis humide. Déco, accessoires, costumes et casting vintage, cadrages ad hoc et lumière ultra-diffusée… Il faut reconnaître que la reconstitution 70′s tient bien la route. On se dit qu’on va droit vers un Conjuring de deuxième division, ce qui n’est déjà pas si mal pour échapper paresseusement à la pluie entre la tartiflette du midi et les madeleines du goûter. Pourtant, au fil des minutes, l’impression de déjà-vu devient particulièrement prononcée sans être réellement gênante. Les références appuyées à des perles injustement oubliées, comme The Changeling (Peter Medak, 1980), s’enfilant avec habileté dans le récit. Etrange, mais de bon augure…

C’est en phase d’oppression, quand les manifestations surnaturelles se durcissent, que Teo Geoghegan affiche beaucoup plus clairement ses intentions iconoclastes – envers le genre – mais respectueuses de ses maîtres. Le décalage est permanent et se niche dans les moindres détails de l’image et du son. Les comédiens jouent leurs partitions désuètes à la perfection, ragaillardis par un bon verre de JB (le whisky intemporel) au moindre coup de pression. Le réalisateur poussant le vice jusqu’à nous offrir un sosie XL de Jack Nicholson pour une irrésistible séquence de possession, en forme d’hommage décomplexé à Shining. Plus aucun doute, on est face à un joyeux cocktail à la fois horrifique et référentiel rehaussé d’un trait subtil d’humour noir. A la mi-temps, spectres incendiaires et villageois excités se donnent rendez-vous chez le pauvre couple endeuillé pour en découdre lors d’un final homérique. Malgré quelques signes avant-coureurs, notamment dans l’élimination précoce et brutale des deux seuls jeunes du film, le spectacle jusqu’alors tout en nuance bascule dans le splatter movie le plus délirant. Triplette de couteaux IKEA dans la jugulaire ou tisonnier dans l’œil, le sang gicle, les têtes explosent, les tripes débordent et les chairs se consument dans un ballet grotesque. On ne boude pas notre plaisir de retrouver la folie sanglante qui irriguait les grands classiques du splatter des années 1980 comme Brain Dead, Bad Taste ou Re-animator. Au point qu’on finit par se soucier comme d’une guigne des tenants et des aboutissants de la brumeuse histoire de vengeance séculaire qui se joue devant nous. Si l’on veut en savoir un peu plus, le générique de fin assure le cours de rattrapage. Il est d’ailleurs fortement conseillé de ne pas quitter l’écran des yeux avant un ultime plan de fond de bobine qui est à lui seul une définition de ce que l’on vient de voir.

Rarement, un film d’horreur d’aujourd’hui aura réussi à empiler, combiner et assumer références, terreur et humour avec autant de placidité tout en évitant soigneusement de verser dans la blague potache du geek en démonstration cinéphilique. Pour sa première réalisation, Teo Geoghegan – scénariste et producteur de nombreux films de genre et notamment du pourtant dispensable ABC’s of Death – propose avec We Are Still Here une variation inattendue et finalement brillante du cinéma d’épouvante. En s’appuyant avec égard sur ses classiques sans jamais faire le malin, il redonne, avec ce « splatter de maison hantée », des couleurs à un genre moribond qu’on pensait en voie de fossilisation. Il parvient à faire du vrai cinéma qui fait peur sans se prendre au sérieux. Un tour de magie digne de Sam Raimi ou de Wes Craven. Tiens, encore des références…

 
We Are Still Here de Teo Geoghegan, avec Barbara Crampton, Andrew Sensenig, Lisa Marie, Larry Fessenden… Etats-Unis, 2015.