The Dead Don’t Die, de Jim Jarmusch

 

La farce tranquille

The Dead Don't Die, de Jim JarmuschQuel que soit le genre auquel il se confronte, Jim Jarmusch imprime sa patte. Le western de Dead Man, le road-movie de Broken Flowers, les vampires de Only Lovers Left Alive et désormais les zombies de The Dead Don’t Die avancent au rythme lent, posé, presque serein malgré tout, qu’impose le cinéaste. Face aux montages saccadés et au déluge d’hémoglobine habituels, Jim Jarmusch met en place, pièce par pièce, son décor, ses personnages et sa situation. Tout le monde voit bien que ça ne tourne pas rond. Les horaires de jour et de nuit sont chamboulés, les téléphones portables ne fonctionnent plus, les montres s’arrêtent, les animaux se planquent. Autant de passages obligés des films catastrophes, enquillés ici sans que ça n’affole outre mesure. En conférence de presse, Jim Jarmusch a expliqué être autant terrifié par la vitesse à laquelle notre monde se dérègle que par notre apathie et notre incapacité à faire face à ce déclin. Et c’est cela qu’il montre. Un flic qui se borne à répéter sans cesse « This is not gonna end well », « tout cela va mal finir », mais qui, lorsque l’invasion zombie est effectivement là, reste avec ses collègues à regarder ça derrière la baie vitrée du commissariat avant de se décider à patrouiller. C’est le discours le plus pertinent du film, même s’il n’est pas nouveau. « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », disait déjà Chirac en… 2002.

Et c’est un peu le problème de The Dead Don’t Die. Hormis les réjouissants dialogues entre Adam Driver et Bill Murray, qui brisent allègrement le quatrième mur en parlant de la musique du film, de son scénario ou de leurs collaborations passées avec Jarmusch, le film sent un peu le réchauffé (climatique). La critique de la société américaine et d’un monde en perdition n’a rien de subtile. Elle passe par les gros sabots de Steve Buscemi en caricature de trumpiste plus prompt à accuser l’ermite local qu’à assumer ses propos racistes devant Danny Glover, par les très réguliers bulletins d’info montrant des industriels peu scrupuleux soutenus par un gouvernement tout aussi menteur, par le fossé entre les hipsters urbains et les ploucs locaux, se méprisant les uns les autres. Comme des scènes juxtaposées sans réel fil conducteur, le film se déroule jusqu’à un final improbable. Toute la pensée du film est résumée par les derniers mots de Tom Waits, observant tout ça depuis sa forêt : « what a fucked up world », « quel monde déglingué ». Un peu court.

Finalement, c’est sans doute Edouard Baer qui aurait fait la version la plus intéressante de ce film. Lors de la cérémonie d’ouverture du 72e Festival de Cannes, quelques minutes avant que l’on ne découvre la dernière livraison de Jim Jarmusch, il réfléchissait à voix haute, s’extasiant devant la promesse du titre. « Si les morts ne meurent plus, les vivants, si. » Alors quoi ? Vaut-il mieux vivre ou mourir ? C’est peut-être ce film-là qu’on aurait aimé voir.

 
The Dead Don’t Die de Jim Jarmusch, avec Bill Murray, Adam Driver, Chloe Sevigny, Tilda Swinton, Steve Buscemi, Danny Glover, Selena Gomez, Tom Waits… Etats-Unis, 2019. En compétition du 72e Festival de Cannes. Sortie le 14 mai 2019.