The Assassin, de Hou Hsiao-hsien

 

Des sabres et des “H”

The AssassinA l’exception d’un film de commande pour le musée d’Orsay en 2007, Le Voyage du ballon rouge, voilà dix ans, depuis Three Times, que Hou Hsiao-hsien, aka HHH, n’avait pas apposé son nom au générique d’une œuvre originale et personnelle. Son retour, il le signe à la pointe des sabres d’un wu xia pian, film de genre par excellence d’art martial et… de sabre. Un choix inattendu de la part de ce chef de file de la Nouvelle Vague taïwanaise, adepte du récit minimaliste et de la mise en scène contenue, et finalement peu enclin à suivre les codes de la tradition.

Dans la Chine du IXe siècle, la grande dynastie Tang (618-907) sent ses fondations tressaillir. Elle qui aura su porter la civilisation chinoise à son âge d’or se retrouve mise à mal par les tendances séparatistes de provinces militaires aux gouverneurs de plus en plus séditieux. Une jeune femme, Nie Yinniang (Shu Qi, pleine de grâce) revient parmi les siens après des années d’exil. Alors que l’étiquette la promettait au mariage (de raison et d’amour) avec son cousin Tian Ji’an (Chang Chen), elle se retrouve écartée pour des raisons de conflit d’intérêts diplomatiques. A savoir maintenir l’équilibre entre un empire vacillant et la toute-puissante province de Weibo, dont le Tina Ji’an en question est devenu le gouverneur. Ses années d’exil, Yinniang les passe auprès d’une nonne qui l’initie secrètement aux arts martiaux et au sabre. De retour chez elle, la jeune femme est devenue une redoutable combattante aux services de l’ordre des Assassins. Chargée de purifier l’empire de ses dissidents, la justicière reçoit pour mission de ramener Weibo sous le joug du pouvoir central en assassinant Sa Seigneurie, soit son cousin et amour de jeunesse.

Voilà pour l’histoire… dont nous avouons bien volontiers avoir eu toutes les peines du monde à saisir en temps réel tous les tenants et les aboutissants. Il faut bien reconnaître que le bougre de Hou Hsiao-hsien n’a pas joué la carte du récit limpide. Des spectateurs chinois, guère étonnés de nous voir sortir de la projection quelque peu circonspects, dépités ou carrément agacés, reconnaissaient eux-mêmes bien volontiers ne pas avoir forcément su saisir toutes les subtilités d’un récit multiréférencé, disent-ils… Nous voilà rassurés. Mais, si quelques voies scénaristiques nous sont effectivement restées impénétrables, le sorcier Hou est malgré tout parvenu à nous maintenir accrochés au bout du fil, nous plongeant dans un état de béatitude irrésistible. Hou n’a en effet rien perdu de sa délicatesse, nous offrant une splendeur visuelle absolument assourdissante, un fantastique ballet de lumières et de couleurs, tout cela avec l’air presque insolent de ne pas y toucher. Ce n’est plus la caméra qui donne vie à l’image mais la caméra qui filme l’image s’animer d’elle-même. Comme cette scène où les silhouettes et les visages se floutent et s’estompent, se font et se défont au gré des mouvements d’un entrelacs de voilages et de halos de bougies. Hou Hsiao-hsien saisit l’intimité de la noblesse médiévale chinoise dans son quotidien au palais. Scène familiale et de banquet, conseil des « ministres », conspiration et sorcellerie… La longueur et la réflexion qu’imposent les plans-séquences contrastent avec la précision furtive des scènes de sabre – finalement très rares. Car il y a en effet dans ce film de Hou Hsiao-hsien bien plus de « H » que de sabres. Le cinéaste réussissant le tour de force audacieux de prendre à revers les codes consacrés du wu xia pian, le vidant de sa substance (de savants combats chorégraphiés) pour lui imposer son propre langage. Celui de la contemplation et de l’émotion retenue. Une prouesse qui nous fait en partie oublier l’embrouillamini scénaristique (bon, pas pour tout le monde au sein de la rédaction, soyons honnêtes). The Assassin est un film ? Peut-être pas. Peut-être davantage la projection enluminée d’une réalité sensible.

 
The Assassin (Nie yin niang) de Hou Hsiao-hsien, avec Shu Qi, Chang Chen, Satoshi Tsumabuki… Taïwan, 2015. Présenté en compétition au 68e Festival de Cannes. Sortie le 6 janvier 2016.