A Touch of Sin, de Jia Zhang-ke

 

A Touch of Sin, de Jia Zhang-keQuatre destins, aujourd’hui, en Chine. Dahai est un mineur impuissant face à la corruption des dirigeants qui appauvrissent son village. Zhou San, un travailleur migrant qui garde toujours, contre sa poitrine, une arme à feu chargée. Xiao Yu est maltraitée par les riches clients du sauna dans lequel elle travaille. Xiao Hui, lui, passe d’un emploi dégradant et dénué d’intérêt à un autre.

Entre ces quatre histoires tirées de faits divers, un point commun : l’insoutenable violence qui les relie. Depuis 24 City (2008) et I Wish I Knew (2010), Jia Zhang-ke nous avait habitués à une approche documentaire et contemplative des mutations sociales de son pays. Si la violence y transparaissait, elle était cachée derrière la colère et le désespoir individuels, conséquence d’une brutalité économique et de mutations qui ont créé un véritable fossé entre deux Chines : celle rurale, archaïque, où l’éducation fait défaut et où la servitude tient lieu d’habitude. Et la Chine du « miracle économique », urbaine et moderne, où l’argent est roi.

A l’opposé de ses deux précédents films, Jia Zhang-ke traite de front cette violence dans A Touch of Sin – violence qui sourdait pourtant déjà dans Still Life (2006), où les apprentis caïds se rêvaient en Chow Yun-fat du Syndicat du crime. A travers ces quatre destins, le cinéaste dresse le portrait grandiose et sordide d’une Chine confrontée à ses paradoxes : le virage économique a-t-il rendu les gens plus libres, ou a-t-il simplement déplacé les conditions de la soumission, passant d’une servitude forcée à une autre, en apparence plus volontaire ?

Ce n’est pas un hasard si Jia Zhang-ke choisit de nous présenter ses personnages l’un après l’autre, commençant dans la région de Shanxi par Dahai et Zhou San, représentants de provinces agricoles où sortir dans la rue avec une arme à feu est anodin, et continuant avec Xiao Yu et Xiao Hui, citadins qui connaissent le confort moderne et la technologie chinoise. Ce n’est pas non plus un hasard si A Touch of Sin se termine par un retour dans le Shanxi, comme si l’histoire se répétait inlassablement. L’histoire des laissés-pour-compte, de ceux qui n’auront vu du miracle économique que l’envers du décor, et qui, voix étouffées au milieu d’un milliard de compatriotes, sont à cours de solutions.

Sans jamais justifier la violence, Jia Zhang-ke interroge sa légitimité avec cynisme. Lorsque l’état de « conscience malheureuse » empêche toute réaction proportionnée, la violence n’est-elle pas parfois plus efficace et plus noble qu’un discours, à l’image de ces guerriers des wu xia pian, prêts à mourir pour une juste cause ? Quand plus rien ne fonctionne, la brutale démesure n’est-elle pas fondée ? A défaut de l’avaliser, A Touch of Sin étudie les mécanismes de la violence, et donne voix aux invisibles, autant victimes que bourreaux, dont les tragédies remplissent jour après jour les colonnes « faits divers » des journaux.

 
A Touch of Sin (Tian Zhu Ding) de Jia Zhang-ke, avec Zhao Tao, Jiang Wu, Wang Baoqiang, Luo Lanshan… Chine, 2013. Prix du scénario du 66e Festival de Cannes.

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