Le Redoutable, de Michel Hazanavicius

 

Vous reprendrez bien un peu de pastiche ?

Le Redoutable, Michel HazanaviciusAprès le mash-up du Grand Détournement, l’humoristique déclinaison du film d’espionnage dans ses deux OSS 117 et l’hommage au cinéma muet dans The Artist, Michel Hazanavicius nous cause encore cinéma dans Le Redoutable, réflexion audacieuse autour du septième art à travers l’une de ses plus grandes figures révolutionnaires, Jean-Luc Godard. Mais loin de la révérence obséquieuse au Dieu vivant de la Nouvelle Vague, Le Redoutable s’amuse davantage (parce que, oui, on peut bien rire de Dieu) à en esquinter tendrement l’auréole. Et Hazanavicius, avec la complicité d’un Louis Garrel dégarni et zozotant tout à fait à son aise, à en filmer le ressac, ce retour violent des (nouvelles) vagues vers le large, après qu’elles ont frappé avec impétuosité une terre…

On est en 1967. Godard est alors au sommet de sa gloire avec, déjà derrière lui, Le Mépris, Pierrot le fou, A bout de souffle. Mais voilà, entre-temps, la révolution culturelle est passée par là, emportant avec elle toutes les certitudes artistiques et politiques du cinéaste. Jusqu’à faire vaciller son intimité, son amour avec la jeune Anne Wiazemsky (troublante Stacy Martin), de 20 ans sa cadette. Elle devait pourtant être la muse de ses nouveaux combats cinématographiques, la brandissant en haut de l’affiche de La Chinoise. Mais le film est mal reçu à sa sortie. Un coup de massue pour Jean-Luc. Mai 68 sera le coup de grâce : « Jean-Luc Godard est mort ! », proclamera-t-il. Et le redoutable de sombrer alors dans une profonde autocritique de son œuvre et une attaque en règle de celles et ceux qui furent jusque-là ses compagnons d’aventure. De Michel Cournot à Bernardo Bertolucci en passant par Marco Ferreri… Plus rien ni personne ne trouve grâce à ses yeux, tout embués qu’ils sont dans un marxisme-léninisme pontifiant. Le redoutable devient alors cet insupportable apparatchik autoproclamé d’un cinéma hors système que personne ne comprend. Pas même lui. Hazanavicius s’en amuse d’ailleurs en lui cassant à plusieurs reprises ses lunettes. Godard ne « voit » plus clair ou veut « voir » autrement, c’est à voir.

Mais, point de moquerie pour autant chez Michel Hazanavicius, bien au contraire. Le regard est doux, affectueux. Simplement, il a trouvé dans ce Godard des années Mao le terrain de jeu idéal à son nouveau détournement. Il désacralise le monstre tout en rendant hommage à son inventivité, citant ici et là certains de ses tics de langage cinématographiques les plus connus : voix off, regard caméra, travelling sur le corps nu d’Anne, image soudain en négatif, non-dits sous-entendus incrustés en sous-titres… De sympathiques flatteries stylistiques qui, pour autant, ne viennent jamais appesantir le propos du film, Hazanavicius se gardant bien, à raison, de l’emmener sur les terrains minés de la réflexion philosophique autour de l’œuvre du maître. « On ne s’attaque pas à Godard, note Louis Garrel dans une interview à Grazia. Parce qu’on est sûr de perdre. » Le Redoutable reste cet agréable pastiche de biopic, drôle et malicieux, vulgarisant le trop plein intellectuel qui enveloppe trop souvent le mythe.

 
Le Redoutable de Michel Hazanavicius, avec Louis Garrel, Stacy Martin, Bérénice Béjo… France, 2017. En compétition au 70e Festival de Cannes.