Rodin, de Jacques Doillon

 

Rodin, de Jacques DoillonDepuis qu’elle a été réhabilitée (notamment sous les traits d’Isabelle Adjani ou devant la caméra de Bruno Dumont), Camille Claudel aurait tendance à éclipser son maître, Rodin. Il faut dire que le destin tragique de cette artiste, morte de faim dans une institution psychiatrique, méprisée par le milieu de l’art de son temps et malgré tout incommensurablement brillante, ne pouvait que faire de l’ombre à Auguste, finalement vénéré de son vivant et représentant d’une époque où l’art le plus radical a gagné, à la loyale, sa partie contre l’académisme.

A ce titre, le film de Jacques Doillon, qui sort en cette année du centenaire de la mort du sculpteur, vient non pas ravaler la façade d’un monument mais tenter de le revisiter. Oui Rodin fut reconnu en son temps, mais cela n’a pas été sans passer par des moments d’égarement. En choisissant de nous plonger dans la glaise de son atelier, le réalisateur préfère finalement l’intimité à la mondanité. Rodin et ses élèves, Rodin avec ses commanditaires, Rodin seul face à ses modèles : tout dans ce film contribue à montrer un sculpteur sous son angle humain. Inflexible, parfois lâche, queutard devant l’éternel, l’homme derrière Le Penseur et La Porte de l’Enfer n’était point un demi-dieu si l’on en croit ce qui nous est dépeint ici. Dans les traits et les expressions de Vincent Lindon se mirent les possibles découragements, les liens entre l’amour pour Camille Claudel (la gracieuse Izïa Higelin) et ses réussites (ou échecs) artistiques, et le doute enfin de celui qui apparaît d’abord comme un travailleur manuel lettré plutôt que comme un monstre sacré (rôle dévolu dans le film à Victor Hugo, dont Rodin peine à tirer le portrait).

Il est devenu conventionnel aujourd’hui de ne plus évoquer les gens illustres sous l’angle traditionnel du biopic. Jacques Doillon circonscrit ainsi l’action à une très courte période de la vie de Rodin, d’à peine quelques années. Mais ce laps de temps fait sens : c’est le moment où sa relation à Claudel s’ombrage, où sa reconnaissance commence à arriver, où lui-même s’installe dans le milieu de l’art, et ne pourra plus le quitter. Avec une photographie naturaliste, un défilé de corps féminins tous dignes des bustes du maître, et une interprétation introvertie, Rodin s’éloigne du film en costumes pour devenir un produit de son époque ; au lieu de tresser des lauriers à son héros, il en rend une image en demi-teinte, loin des ors et du marbre. Et remercions donc Doillon de n’avoir pas figé son sujet en évoquant la sculpture.

 
Rodin de Jacques Doillon, avec Vincent Lindon, Izïa Higelin… France, 2017. En compétition au 70e Festival de Cannes. Sortie le 24 mai 2017.