La Danseuse, de Stéphanie di Giusto

 

Des rêves dansants

La Danseuse, de Stéphanie di Giusto« Loïe Fuller : l’icône de la Belle Epoque »… C’est à la lecture de cette simple note apposée au bas d’une photographie noir & blanc que Stéphanie di Giusto a eu envie d’en savoir plus sur le destin méconnu et pourtant insensé de cette jeune fille, née dans un petit village de l’Illinois un jour de 1862 et devenue, quelque trente années plus tard, la Fée Lumière des Folies Bergère, dans un Paris Belle Epoque sous le charme. Sa création la plus célèbre reste la Danse serpentine. Dissimulée dans une ample robe de soie qu’elle animait aux moyens de grands bâtons tenus à bout de bras, Loïe Fuller tournoyait à un rythme frénétique, se perdant dans son impressionnant amas d’étoffe et donnant à voir à son assistance un spectacle irréel. « Un papillon !… Une orchidée !… », s’exclame un public ébahi en voyant virevolter pour la première fois cette « mystérieuse fleur de rêve ». A l’affut des progrès scientifiques de son époque (elle rencontre notamment Edison, Pierre et Marie Curie), Loïe Fuller décuple la magie de ses spectacles au moyen de savants jeux d’éclairages et d’illusions d’optiques (d’où la Fée Lumière). Une audace qui lui vaut d’être considérée aujourd’hui comme une pionnière en matière d’art technologique et d’effets spéciaux. Une révolution !
 


 
C’est cette trajectoire lumineuse, exubérante, à contre-courant de son époque que la photographe de métier et jeune réalisatrice Stéphanie di Giusto a choisi d’explorer avec curiosité et passion. Des premiers pas au théâtre, outre-Atlantique, à la Danse des miroirs offerte à un parterre corseté mais émerveillé à l’Opéra de Paris, en passant par les triomphes aux Folies Bergère, la cinéaste suit l’ascension de celle qui fut érigée par le grand Mallarmé comme l’incarnation même de l’utopie symboliste. C’est à la jeune et généreuse Soko (A l’origine, Augustine…) que di Giusto a choisi de confier le corps et l’esprit de sa Loïe Fuller. Un corps que l’actrice a accepté d’entraîner six heures par jour pendant un mois afin d’encaisser les nombreuses et exigeantes séances de danse. Des séances de danse physiquement traumatisantes et impressionnantes à l’écran que la cinéaste cadre au plus près comme autant de combats dont la danseuse ressort à chaque fois un peu plus abîmée. Ca se sent, ça se voit : Loïe Fuller ne s’aime pas et préfère autant que possible se noyer dans ses flots de tissus. Sauvée par la danse, l’artiste ne survivra malheureusement pas à sa rencontre avec la toute jeune Isadora Duncan, à laquelle la gracile Lily-Rose Depp prête son joli minois. Discrète – trop –, elle signe malgré tout ici des premiers pas au cinéma plutôt prometteurs, déjà pleins d’assurance. A la volonté rageuse et au talent laborieux de Soko/Loïe, Stéphanie di Giusto oppose donc la gracieuse désinvolture et le talent naturel de Lily-Rose/Isadora. Entre la prof et l’élève, entre l’industrieuse bouillonnante et la oisive insouciante, la cinéaste place une Mélanie Thierry tout en retenue. Elle est la manageuse, la coach, la confidente de Loïe. Elle est Gabrielle, l’ange guidant dans l’ombre sa protégée vers les feux ardents de la rampe. Mais elle est aussi l’actrice intuitive rompue aux coulisses du monde du spectacle et tenant la main de la jeune et fougueuse Soko. Au beau milieu de toutes ces femmes, des hommes discrets… Denis Ménochet, François Damiens, Louis-Do de Lencquesaing et Gaspard Ulliel, le plus intéressant, en mystérieux aristocrate désenchanté et suicidaire.

Art et sciences, création et révolution, estime de soi, féminité enfin assumée… Il est un peu question de tout cela dans La Danseuse de Stéphanie di Giusto. Et sans être exempt de tout reproche (on pourrait en réprouver sa construction narrative trop académique, mal commun à bon nombre de biopics), le film brille néanmoins par l’implication aveugle de son interprète principale, par la puissance visuelle de sa photographie signée Benoit Debie (Love, Lost River, Innocense de Lucile Hadzihalilovic), baignant le récit de ce destin insensé dans une douce folie romantique.

 
La Danseuse de Stéphanie di Giusto, avec Soko, Lily-Rose Depp, Mélanie Thierry, Gaspard Ulliel… France, 2016. Présenté dans la sélection Un Certain regard 2016.