All is Lost, de J. C. Chandor

 

Robert Redford et la mer : All is Lost, de J. C. ChandorLe scénario d’All is Lost tient en une ligne : au large de Sumatra, un marin dont le bateau coule lutte en pleine mer pour sa survie. Difficile d’imaginer tenir presque deux heures sur le sujet sans recourir aux artifices habituels : des flash-back bien sentis (façon 127 heures, de Danny Boyle), des communications avec l’extérieur (Buried, de Rodrigo Cortés), ou même des cadeaux venus de nulle part (Seul au monde, de Robert Zemeckis).

Pourtant All is Lost ne ressemble en rien aux survivals précités, ni aux films de catastrophe maritime qui se font fort de rappeler l’insignifiance de l’homme devant la nature. Non, All is Lost est un drame humain, intime, presque un huis clos dans l’océan. Jeffrey C. Chandor évite l’écueil d’enchaîner les plans sur une mer déchaînée et de montrer un bateau ballotté par une lame de quinze mètres de haut. L’échouement est lent et provient d’une suite hasardeuse d’incidents, non de la légendaire tempête du siècle. Au lieu d’effets visuels grandiloquents, le réalisateur décide de faire confiance à son unique acteur, l’immense Robert Redford qui trouve ici un rôle à sa mesure. Les mots sont superflus, l’émotion passe par le regard, la détermination ou le silence frustré… et bien sûr par la mise en scène : chaque plan est minutieusement pensé et millimétré. A contre-courant des parangons du genre, Chandor réduit le champ au maximum, resserre sa caméra sur son personnage maltraité par les eaux. Se crée un climat totalement anxiogène où le hors-champ et les sons tonitruants deviennent terrifiants. Les rares séquences spectaculaires sont vues par les yeux du marin, elles nous parviennent fantasmées et déformées, presque irréelles.

All is Lost est un film radical qui réussit à dépasser le genre dans lequel il feint de s’enfermer. Presque un thriller, il est aussi une réflexion sur l’existence. Si rien n’est dit, le spectateur s’interroge évidemment sur la présence de cet homme perdu en pleine mer. Que fait-il ici, en retraite du monde des hommes ? Arrivé au crépuscule de sa vie, le marin, qui est aussi un fils, un père, un mari, un ami, a-t-il atteint la sagesse de l’âge qui lui permettra d’affronter une mort certaine ? Les seuls mots prononcés ici sont ceux d’une tristesse résignée, ceux d’un homme qui attend la fin. Comme Le Vieil Homme et la mer ou Moby Dick, All is Lost est aussi une quête initiatique, universelle, celle qui consiste à accepter sa condition, tout en restant digne.

 
All is Lost de Jeffrey C. Chandor, avec Robert Redford. Etats-Unis, 2013. Présenté hors compétition au 66e Festival de Cannes. Sortie le 11 décembre 2013.