Cogan : Killing Them Softly, d’Andrew Dominik

 

L'affiche originale de Cogan, la mort en douceLorsqu’un tripot clandestin est dévalisé, le monde de la pègre est en effervescence. Trouver les coupables, donner l’exemple pour que les éventuels émules sachent à quoi s’en tenir. La mafia fait appel à Jackie Cogan (Brad Pitt) pour régler tout ça aussi rapidement qu’efficacement. Cogan, personnage haut en couleur, archétype du cow-boy moderne, rappelle Winston Wolfe (Harvey Keitel) dans Pulp Fiction, chargé de nettoyer la scène du crime et de tout arranger. « Je résous les problèmes », dit Wolfe à Jimmy (Quentin Tarantino) dans Pulp Fiction. Cogan fait la même chose, avec un professionnalisme rigoureux. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde : entre des complices amateurs, un associé en pleine crise existentielle (James Gandolfini) et des commanditaires indécis, tout ne va pas se passer comme prévu.

Andrew Dominik détourne avec humour et beaucoup d’esprit les codes du film noir. Cogan : Killing Them Softly est une adaptation du roman L’Art et la manière de George Higgins (dont s’inspire Elmore Leonard, dont s’inspire Quentin Tarantino, dont s’inspire Andrew Dominik… Un joli petit cercle qui se nourrit de lui-même). Ecrit dans les années 1970, Dominik a su conserver la quintessence de l’ouvrage tout en le situant de nos jours. Plus précisément en 2008, lorsque la crise des subprimes n’est pas encore tout à fait une crise mondiale et que Bush et Obama se battent pour la présidentielle. Ce fond politique, Dominik s’amuse avec : et si les vrais truands, c’étaient les traders et autres financiers ? Ceux qui permettent à la misère de proliférer. Personnage cynique et clairvoyant, Jackie Cogan a parfaitement compris que le rêve américain est une illusion, que la solitude est le parent de chaque habitant et que « l’Amérique n’est pas un pays, c’est un business ». Les gangsters qu’on trouve ici sont des hommes comme les autres – ou en tout cas, ils aspirent à l’être. Autour de Jackie Cogan, gangster sensible, il y a Markie (Ray Liotta, dans une autocaricature magistrale), dont on se demande s’il fut un génie d’un jour ou un idiot fini. Frankie (Scoot McNairy) et Russell (Ben Mendelsohn), les deux braqueurs de tripot amateurs qui, au fond, ne voudraient rien d’autre qu’une existence normale. Et surtout, il y a l’associé interprété par James Gandolfini, Mickey, amoindri par l’alcool et une rupture amoureuse. Le réalisateur s’amuse avec la figure mythique des Soprano, ici flingueur au bout du rouleau, submergé par de mauvais souvenirs. Bref, toute une galerie de personnages truculents qu’Andrew Dominik suit avec amour et désinvolture, et auxquels il offre son lot de répliques mordantes.

Quant aux commanditaires de Cogan, invisibles mais représentés par leur fidèle avocat (Richard Jenkins), de son propre aveu organisés en « un véritable conseil d’entreprise », ils représentent une mafia aussi molle que l’administration américaine face aux banques. A l’instar de Takeshi Kitano dans Outrage, Dominik croque cette pègre désormais plus au fait du monde de la finance (dont le poker clandestin fait partie) que des meurtres et cambriolages. Ce troisième long-métrage d’Andrew Dominik est un délicieux moment d’humour noir et de lucidité, servi par un casting en or, un montage élégant et une photo esthétisée – avec juste ce qu’il faut de maniérisme. Bien plus subtil qu’il n’y paraît au premier abord, Cogan vient placer son réalisateur aux côtés des frères Coen ou de Tarantino, conteurs d’histoires décalées, faiseurs de dialogues jubilatoires et techniciens aguerris.

 
Cogan : Killing Them Softly (Killing Them Softly) d’Andrew Dominik, avec Brad Pitt, Richard Jenkins, Ray Liotta, James Gandolfini, Scoot McNairy, Ben Mendelsohn… Etats-Unis, 2012. Sortie le 5 décembre 2012. En compétition au 65e Festival de Cannes.

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