A genoux les gars, d’Antoine Desrosières

 

Le pouvoir et ses responsabilités

A genoux les garsEn ce premier Cannes post-Weinstein, ce n’est rien de dire que la sélection d’A genoux les gars au Certain Regard est opportune. Il y est question de rapports de pouvoirs entre hommes et femmes – même si, contrairement à Weinstein, socialement, ces jeunes-là n’en ont aucun -, de consentement, de manipulation et de domination. Histoire d’entrer directement dans le vif du sujet, le film s’ouvre sur une simulation d’orgasme, parfait hommage à Meg Ryan dans Quand Harry rencontre Sally. Car, de sexe, il n’est que question. L’obsession des garçons étant d’obtenir de leurs copines une fellation, et celle des filles de les satisfaire tout en restant « halal » et en conservant leur dignité – or, explique l’une d’elles, la fellation est un acte avilissant pour la femme. De se satisfaire aussi, mais ça, il ne faut pas trop le crier sur les toits, comprend-on. Les dialogues sont le fruit d’improvisations, à tel point que les deux actrices principales sont créditées au scénario. Cela fait à la fois la force et la faiblesse du film. Leur tchatche, leur sens de la repartie font parfois mouche. Mais pour ces quelques rares sorties réjouissantes, des kilomètres de dialogue qui tournent en rond : sucer or not sucer, telle est la seule question pendant une bonne partie du film. Jusqu’à ce qu’on arrive enfin au coeur du sujet : la manière dont les personnages masculins vont manipuler l’une des deux filles pour qu’elle cède enfin, la filmer en pleine performance, puis la faire chanter avec cette sextape tournée au smartphone à son insu. Ce sujet du consentement arraché à contrecœur est le plus intéressant du film, mais il est assez vite évacué au profit d’interminables interrogations sur la loyauté ou l’intégrité, tant la question de la diffusion ou non de la sextape et celle de la révélation ou non de la trahison de sa sœur prennent le pas sur celles du viol ou même du désir et du plaisir féminin. Une séquence, la plus réussie, aborde ce dernier thème, alors que l’une des deux sœurs se retrouve dans une chambre d’hôtel avec un jeune homme – dont il ne nous sera absolument rien caché et qui, par ailleurs, occupe les deux tiers du lit dans une démonstration, l’air de rien, d’une variante de manspreading. Pour le reste, les scènes s’étirent dans de vaines joutes verbales où il s’agit toujours de prendre le pouvoir sur l’autre. Et même si ce sont les filles qui gagnent à la fin, la manière dont elles y parviennent et certaines lignes de dialogue douteuses font que les louables ambitions féministes de départ se noient dans une chronique plus revancharde qu’égalitaire.

 
A genoux les gars d’Antoine Desrosières, avec Souad Arsane, Inas Chanti, Sidi Mejai, Mehdi Dahmane et Elis Gardiole. France, 2018. Présenté en sélection Un certain Regard au 71e Festival de Cannes. Sortie le 20 juin 2018.