Bande de filles, de Céline Sciamma

 

Naissance d’une femme

Bande de filles, de Céline SciammaCéline Sciamma clôt son triptyque sur l’adolescence, l’identité et le genre. Chacun dans un contexte et à un âge différent : la petite fille qui aimerait être un garçon de Tomboy, les premiers émois et l’éveil à la sexualité de La Naissance des pieuvres, et l’entrée dans l’âge adulte et la définition de la femme dans cette Bande de filles. Céline Sciamma ouvre ce dernier film sur un match de football américain féminin. Sous les casques et les armures de guerriers, on devine peu à peu le maquillage et les cheveux colorés. Tout l’enjeu de son film est déjà là, dans cette première séquence : ces filles doivent naviguer entre les attributs masculins et féminins. Trouver leur chemin entre tous ces stéréotypes. C’est le cas de Marieme – impressionnante Karidja Touré –, qui navigue entre les identités et les rôles. Bande de filles est construit en épisodes. Pour chacun, Marieme est face à un mur, qu’il lui faut surpasser ou contourner pour passer à l’étape suivante. Tout au long du film, elle fera face à l’impasse scolaire, à la brutalité de son frère – qui la bat pour son bien paraît-il –, à la pression du quartier et à sa rumeur, et se fondra dans un univers uniquement masculin pour finalement se rendre compte que même avec tous les attributs masculins (cheveux courts, vêtements amples et poitrine effacée), elle ne reste qu’une fille, qui doit obéir au boss et satisfaire ses désirs. A chacune de ces étapes, Marieme se transforme. Elle abandonne ses tresses enfantines pour une chevelure longue et lisse, puis une coupe plus garçonne. On la voit très féminine, veste en cuir ou robe de soirée – avec l’antivol toujours bien accroché ou affublée d’une perruque blonde –, en survêtement quand il s’agit de se battre pour défendre l’honneur de sa bande, et en vêtements informes et anonymes pour mieux s’effacer et se masculiniser. Elle est caméléon, dit Céline Sciamma, s’adaptant à toutes les situations. Seulement, ces transformations sont parfois trop abruptes ou radicales pour qu’on suive ce personnage fort dans sa progression : la jeune fille sage et responsable se fait voleuse, racketteuse, violente, dealeuse, avec une facilité déconcertante. La réalisatrice signe un film complexe, le portrait d’une jeune fille qui se cherche. Qui cherche une issue. On la suit dans ses tentatives – elle est de tous les plans – qui se soldent toutes par un échec. « Les jeunes filles sont éternelles parce qu’elles subissent les mêmes pressions. » Constat terrible de Céline Sciamma lors de la rencontre à l’issue de la projection. Elle filme une histoire immuable. Elle filme une jeune fille qui conseille à sa petite sœur de cacher sa poitrine naissante à son grand frère et à sa mère. Une jeune fille qui cherche à devenir femme, et se confronte aux limites que son genre lui impose. Mais dans son dernier plan, Céline Sciamma redonne espoir. Dans son dernier plan, elle filme une jeune fille qui a subi des épreuves, tourne une page et avance, résolue, vers l’inconnu.

 
Bande de filles de Céline Sciamma, avec Karidja Touré, Assa Sylla, Lindsay Karamoh, Marietou Touré, Idrissa Diabate… France, 2014. Présenté en ouverture de la 46e Quinzaine des réalisateurs.