Rigor Mortis, de Juno Mak

 

Rigor Mortis, de Juno MakRigor Mortis ou “rigidité cadavérique” : enraidissement progressif de la musculature causé par des transformations biochimiques irréversibles affectant les fibres musculaires au cours de la phase post mortem précoce. Etat qui disparaît lorsque commence la putréfaction… Le premier long-métrage du Hong-Kongais Juno Mak s’annonçait donc plutôt tendu ! Le parcours professionnel du jeune homme pouvait pourtant susciter certains a priori et nous crisper quelque peu. Sorte de touche-à-tout de l’Entertainment, le trentenaire cumule les casquettes et les carrières. Chanteur pop, fashionista, producteur, acteur (Dream Home, Revenge : a Love Story…), scénariste et désormais réalisateur. Ca fait tout de même beaucoup sur le papier. Malgré tout, force est de reconnaître que Juno Mak se révèle plutôt adroit derrière la caméra.

En fan inconditionnel de Mr Vampire, franchise signée Ricky Lau, incontournable de la ghost-kung-fu-comedy entre 1985 et 1992, Mak inscrit son Rigor Mortis dans la grande tradition des films de vampires chinois des années 1980. Celle des jiang shi ou chiang shih (“cadavre raide”, d’où Rigor Mortis), figure folklorique du vampire oriental. Quoique, si l’on peut se permettre une petite parenthèse technique, la “chose” se rapproche davantage du zombie, le jiang shi se présentant sous les traits d’un cadavre anormalement bien conservé qui, du fait de sa rigidité, ne peut se mouvoir que par bonds, les bras tendus devant lui. Son visage est livide, ses yeux, cernés de noir. Il ne suce pas de sang mais est doté de griffes acérées et est traditionnellement vêtu de l’habit mortuaire porté par les défunts. Bref. L’hommage rendu par Juno Mak est appuyé et il commence dès le casting pour lequel le réalisateur a tenu à aligner certaines des grandes figures du cinéma hong-kongais. Les accros du genre y reconnaîtront notamment, en tête d’affiche, Chin Siu-ho, l’un des derniers survivants de la série Mr Vampire. Il y incarne, non sans une certaine dose d’autodérision, son propre rôle. Celui d’une ancienne star de cinéma en bout de course, abonnée aux rôles de chasseurs de vampires. Rongé par le sort qui s’acharne, Siu-ho loue un appartement, le numéro 2442 dans une tour HLM miteuse et délabrée où il pourra tranquillement mettre fin à ses jours. Mais c’était sans compter sur l’intervention des autres résidents du bâtiment qui parviennent à enrayer son entreprise désespérée. Parmi ces résidents, un certain Oncle Yau, un mystérieux moine taoïste, vieux briscard de la chasse aux vampires. Et, nouveau clin d’œil, dans la peau de cet Oncle Yau, on retrouve un certain Anthony Chan, autre vétéran de la folle aventure eighties de Mr Vampire.

Mais Juno Mak ne s’est pas contenté de dépoussiérer le genre en faisant défiler sur grand écran les stars d’antan du cinéma hong-kongais. De toute évidence, il ne s’agissait pas pour lui de se satisfaire d’un quelconque remake, ni de donner dans le simple sequel de Mr Vampire. Son Rigor Mortis n’a rien de nostalgique. Au contraire, Juno Mak dynamite l’orthodoxie du film de jiang shi, lui retirant sa dimension comique consacrée pour l’imprégner d’une atmosphère sinistre, animale, froide et poisseuse. La tension y est suffocante. La photographie est soignée, Mak façonnant chacune de ses séquences comme autant de tableaux saisissants d’effroi. L’apprenti déroule son film avec une retenue inattendue. Il expose chacun de ses personnages avec minutie. Lentement, il en décrit les parcours personnels, en révèle les secrets, les douleurs. Si l’influence du maître japonais Takashi Shimizu (The Grudge), ici producteur du film, semble évidente, le réalisateur hong-kongais n’en a pas moins su imposer sa propre marque, insufflant une indéniable patte artistique, tant narrative qu’esthétique. Juno Mak nous livre une tragédie horrifique émouvante autour des sentiments de la perte – de soi comme de l’autre –, du regret et du deuil. Un jiang shi fascinant et hypnotique.

 
Rigor Mortis de Juno Mak, avec Kara Hui, Chin Siu-ho, Anthony Chan, Richard Ng… Hong Kong, 2013. Présenté en compétition au 21e Festival du film fantastique de Gérardmer.