Julieta, de Pedro Almodovar

 

Julieta, de Pedro AlmodovarQui ?
Pedro Almodovar, c’est un peu le Poulidor de Cannes. Toujours sélectionné ou presque depuis 1999 et Tout sur ma mère (La Mauvaise Education a même eu l’honneur de faire l’ouverture en 2004), il n’est reparti qu’avec des prix de consolation : Prix du scénario et Prix d’interprétation collectif pour les femmes de Volver, Prix de la mise en scène pour Tout sur ma mère. Le Festival a mis du temps à découvrir la figure de la Movida, alors que Venise l’a sélectionné dès 1988 pour Femmes au bord de la crise de nerfs et Berlin dès 1990 pour Attache-moi !, mais ne l’a plus lâché ensuite. Paraît-il que c’est Pedro Almodovar qui a boudé le Festival pour Parle avec elle en 2002, après ne pas avoir obtenu la Palme pour Tout sur ma mère (alors que face à Rosetta, des frères Dardenne, y’avait moyen). Après l’oubliable Les Amants passagers, Pedro Almodovar fait son grand retour, dans un contexte un peu compliqué. Eclaboussé par le scandale des Panama Papers, le cinéaste espagnol a arrêté toute promotion et toute apparition publique pour la sortie de Julieta, en avril en Espagne. On imagine déjà que la conférence de presse cannoise ne parlera que très peu de cinéma. Un obstacle de plus pour notre champion ?

Quoi ?
Les femmes chez Almodovar sont un objet de fascination sans cesse renouvelé. Il les met en scène dans tous les états, émotionnels (au bord de la crise de nerfs, fortes, désespérées, combatives) et physiques (le corps transformé, mutilé et/ou attaché). On attend donc avec impatience d’en savoir plus de cette Julieta, qui pour la première fois chez le cinéaste, donne son nom au film. Un seul personnage, mais deux actrices — Emma Suarez et Adriana Ugarte — à trente ans d’écart. Au bord de la folie, Julieta se perd dans ses souvenirs, celui des disparus : un homme, une fille. Et on sait qu’Almodovar est à son meilleur quand il est au plus près de ses personnages, de leurs failles, de leur folie. Ici, il adapte trois nouvelles du recueil Fugitives de la Canadienne Alice Munro, Nobel de littérature en 2013 : Hasard, Bientôt et Silence. Retour à la sobriété, semble-t-il, pour le cinéaste, et au drame psychologique. Moins d’extravagance pour celui qui en a fait sa marque de fabrique ? On ne peut y croire. Surtout que Rossy de Palma, notamment présente dans ses films de la fin des années 1980-début des années 1990, figure au générique. Un bon présage ?

Résultat des courses
Retour au portrait de mère et au romanesque avec tout ce qu’il comprend chez Almodovar de mélodrame et de rebondissements. Julieta porte en lui ce qui avait fait le charme et la grandeur de Tout sur ma mère. La voix off et le train qui dans un même élan décident de replonger dans le passé. La vie avec, puis sans l’enfant. L’équilibre fragile de nos vies.

Julieta, la cinquantaine, s’apprête à quitter Madrid avec son fiancé quand elle croise dans la rue une jeune femme qui lui dit avoir vu sa fille près du lac de Côme. Chamboulée, elle annule son départ. Obsédée par l’idée de revoir sa chair, son sang, elle recolle les morceaux d’une vieille photo qu’elle avait déchirée par colère, par chagrin. Et elle entame, par écrit, le récit de sa vie, depuis la rencontre avec le père de son enfant, une nuit d’orage dans un train. En faisant défiler sa vie pour la raconter à sa fille, Julieta change d’époques et de décors. Pedro Almodovar, virtuose dans l’art de manier l’ellipse et de nous parler de la fragilité des liens qui unissent les êtres. De ce que cela signifie de laisser partir ses enfants, de vieillir sans eux, de ne pas connaître réellement les adultes qu’ils sont devenus.

Alors évidemment tout ça échappe chez le réalisateur espagnol aux contingences du quotidien. Les drames se succèdent et s’entremêlent comme dans un mythe grecque, les êtres sont beaux, les couleurs éclatantes, la mer déchaînée. Les héros affrontent leur fatum. La malédiction contagieuse se transmet de mère en fille. Le temps file et la vie est une succession d’adieux.
(MC)

Julieta de Pedro Almodovar, avec Adriana Ugarte, Inma Cuesta, Rossy de Palma, Emma Suarez… Espagne, 2016. Sortie le 18 mai 2016. En compétition au 69e Festival de Cannes.