Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc, de Bruno Dumont

 

Jeanne entend sa voie

Jeannette, de Bruno Dumont1425, Domrémy dans les Vosges (en fait sur les plages du nord de la France, photogéniques au possible). Une petite fille de 8 ans chantonne entre deux moutons. Ou plutôt psalmodie des prières, face caméra, le regard pénétrant et pénétré. Avant d’entamer une roue et de faire un grand écart. C’est Jeannette, future Jeanne d’Arc bouteuse d’Anglais hors de France. D’ailleurs, l’invasion des mangeurs de pudding de notre bon royaume l’inquiète autant qu’elle dévore son âme. Elle, ce qu’elle voudrait, c’est un guerrier qui mènerait une armée et délivrerait notre pays. Et quand elle ne récite pas cette litanie patriotique, elle danse et chante, bientôt rejointe par une autre petite fille, deux nonnes jumelles adeptes du jeter de tête sur musique metal et trois saints aux parures kitsh qui adorent reproduire les gestes des chorégraphies de Pulp Fiction. Et plus tard, devenue adolescente, elle poursuit ses incessantes prières avec une autre jeune fille qui se déplace comme une araignée, la tête à l’envers et un jeune oncle rappeur de province et fan de dab.

Forcément, quand Bruno Dumont, qui poursuit sa nouvelle orientation de carrière où rien n’est sérieux, mais fait sérieusement (après l’absurde du P’tit Quinquin et l’outrance de Ma Loute l’année dernière), adapte Charles Péguy, ça donne un objet cinématographique aussi réjouissant que dérangeant. Une comédie musicale sur fond historique et religieux (le réalisateur se déclarant pourtant aussi incroyant que Péguy), il faut le voir pour le croire. Jeannette s’émoustille sans sourire sur des musiques électroniques, pop et rock qui surgissent sans crier gare. Jeannette s’ennuie en attendant qu’il se passe quelque chose. Jeannette préfère se promener dans les ruisseaux cheveux au vent que garder ses moutons qui bêlent entre deux répliques. On rit souvent quand tout à coup les personnages se lancent dans d’anachroniques chorégraphies, quand le discours se fait trop alambiqué pour des bouches de huit ans, quand le ridicule s’assume sans desservir le texte, quand le profane saccage le sacré et que le sacré l’emporte sur le profane. Les images léchées et sophistiquées sur des chansons à la Michel Legrand gorgées de Prozac, fascinent et servent le mythe de la Jeanne d’Arc des livres d’histoire. C’est parce qu’aucun guerrier ne se déclare qu’elle décide de l’incarner, quitte à perdre les siens et à leur mentir. Elle enfourche alors un cheval pour la première fois et gagne le lointain, à la recherche de sa glorieuse et canonique destinée. En musique, forcément.

 
Jeannette, l’enfance de Jeanne d’Arc de Bruno Dumont, avec Lise Leplat Prudhomme, Jeanne Voisin, Lucile Gauthier, Aline et Elise Charles… France, 2017. Présenté à la 49e Quinzaine des réalisateurs.