Voir et revoir Kubrick

 

Kubrick l’éternel

Stanley Kubrick, l'expositionForce est de constater que lorsque je parle de Stanley Kubrick pour la première fois avec quelqu’un, la conversation s’oriente toujours vers Eyes Wide Shut. Est-ce parce que c’est le dernier film du cinéaste, le seul que les gens de ma génération ont pu voir au cinéma à sa sortie ? Ou peut-être à cause du couple star Kidman-Cruise, de la lascivité prégnante du film, de sa charge psychologique, ou de sa scène d’ouverture montrant Nicole Kidman assise sur les toilettes ? Sûrement un peu de tout ça. Est-ce qu’Eyes Wide Shut le mérite ? Evidemment. Plus que les autres ? Non. Mais on se souvient moins des autres.

Pourtant, on ne devrait pas : depuis quelques jours, l’exposition à la Cinémathèque française consacrée au maître nous redonne à penser aux treize films qu’il a réalisés en quarante ans de carrière. Et ce qui saute aux yeux : pas un n’a vieilli. Qu’il s’agisse de l’esthétique du Korova Milk Bar d’Orange mécanique, du visionnaire 2001, Odyssée de l’espace, du propos décapant de ses films de guerre (Les Sentiers de la gloire et Full Metal Jacket ont été boycottés par le corps militaire, le premier à sa sortie, l’autre avant même sa mise en chantier) ou plus généralement du regard acéré et profond du réalisateur sur la société, tous ses films sont avant-gardistes et toujours d’actualité. En véritable scientifique de l’image, Stanley Kubrick a placé et filmé ses acteurs d’une manière novatrice, qui n’appartient ni au passé puisqu’elle est résolument moderne et inventive (les multiples plongées et contreplongées, les trouvailles techniques comme l’utilisation du steadicam sur le tournage de Shining), ni au futur puisque, alors même que l’influence de Kubrick aura été mondiale et sans appel, aucun cinéaste ne peut aujourd’hui se réclamer du réalisateur. Alors qu’Hitchcock, Welles, Tarkovski, Truffaut, Fellini ont engendré de nombreux fils et filles spirituels (pas toujours voulus ni recommandables), Kubrick, lui, n’en a pas. J’ai beau chercher, je ne trouve aucun réalisateur capable de me faire revivre l’expérience sensorielle de 2001 ni de me faire partager le dégoût nouveau d’Alex DeLarge pour l’hyperviolence. Je ne crois pas avoir été plus surpris que par le ton drôle et terrible de Docteur Folamour, ni avoir vu – et on l’oublie trop souvent – un film d’horreur de la trempe de Shining, qui surpasse de quelques kilomètres le pourtant génial roman de Stephen King.

Sidney Lumet a dit un jour que chaque mois passé sans que Stanley Kubrick ne fasse un film est un mois perdu pour le cinéma. C’est vrai, et le seul passage à la formidable exposition de la Cinémathèque, qui mêle extraits, documents, photographies de plateau, accessoires et paroles d’autres auteurs, prouve combien chacun de ses films est précieux. Ca donne envie de les revoir. Tous. En boucle. Et d’entamer la prochaine conversation à propos de Kubrick par « Tu savais, toi, qu’à l’époque, Henry Chapier a dit que même un porno, c’était mieux que de dépenser temps et argent à regarder Lolita ? »

 
Stanley Kubrick, l’exposition, du 23 mars au 31 juillet 2011 à la Cinémathèque française, 51 rue de Bercy, 75012 Paris.