The Last Face, de Sean Penn

 

The Last Face, de Sean PennQui ?
Sean Penn n’est jamais où on l’attend. Le beau gosse des années 1980, sorte de nouveau James Dean, a peu à peu mué en acteur-réalisateur engagé. La Dernière Marche, Harvey Milk, Into the Wild, campagne contre l’intervention américaine en Irak en 2003, humanitaire en Haïti ou en Louisiane, reporter gonzo menant à l’arrestation du narco-trafiquant El Chapo… Aucun sujet ne lui échappe, tout le concerne. A Cannes aussi, il a tenu tous les rôles. Prix d’interprétation masculine pour She’s so Lovely, président du jury (remettant la Palme d’or à Entre les murs) et réalisateur en compétition, avec The Pledge. Cette connaissance des arcanes cannoises le mènera-t-il au plus haut ?

Quoi ?
Dans The Last Face, Sean Penn met en scène celle qui n’était pas encore son ex, Charlize Theron, tombant sous le charme de Javier Bardem, au sein d’une ONG plongée dans une guerre civile au Liberia. Au casting décidément international, on retrouve également Adèle Exarchopoulos et Jean Reno. Outre la thérapie conjugale un peu hasardeuse, on attend du réalisateur qu’il tire le meilleur de sa propre expérience avec les ONG et les zones de conflit. On se doute qu’il dénoncera avec violence les horreurs de la guerre, on espère sans trop de grandiloquence et de naïveté. De tout ça, on peut craindre le pire comme le meilleur. Sean Penn, jamais où on l’attend.

Résultat des courses
Un film sur « un amour impossible… entre un homme… et une femme » (sic). Les premières images font peur, et le reste n’est guère mieux. Côté cinématographie (regroupons-y la mise en scène, la direction et le jeu d’acteurs, le scénario, le montage, les dialogues, les décors, la musique), c’est zéro. Oui, ça peut paraître cruel, mais il faut bien le remarquer : la réalisation de The Last Face est si mauvaise qu’il doit bien y avoir une place pour elle quelque part dans le Guinness Book. Sean Penn s’inspire à la fois de Terrence Malick (mais même le plus mauvais des Malick est mieux réalisé que The Last Face) et d’une pub pour une ONG. Trop occupé par son nombril, le cinéaste américain (à qui l’on doit pourtant The Indian Runner et Into The Wild) a oublié de rendre l’histoire crédible, de diriger correctement les comédiens (question rhétorique : Jean Reno est-il comédien ?), de proposer une véritable réflexion sur un tel sujet.

Bien sûr, peut-on vraiment dire d’un mauvais film qu’il est mauvais sans paraître insensible, dès lors qu’il est plein de bons sentiments ? Sean Penn veut provoquer chez le spectateur une prise de conscience en lui montrant les atrocités de la guerre (lacérations, viols, amputations, enfants-soldats… tout y passe). L’intention est louable, mais cachée sous une telle couche de narcissisme (Wren, l’alter ego fantasmé de Sean ?) et de lourdeur (à côté, Urgences est d’une subtilité rare) qu’elle manque son but. The Last Face nous apprend principalement que les méchants sont vraiment méchants, mais ne nous renseigne pas tellement sur ce qui a rendu possibles ces conflits. A part quelques mots sur le rôle des Etats-Unis et de l’Europe au milieu du film (une vingtaine de secondes, en arrondissant généreusement) et un joli discours final sur la notion de « réfugié » – malgré, ici aussi, beaucoup de narcissisme. Si « l’espoir d’un monde meilleur » que Sean Penn entrevoit n’a que The Last Face comme défenseur, la planète a du souci à se faire. Espérons au moins que les millions engloutis dans ce projet soient en partie reversés à une fondation humanitaire.
(JNB)

 
The Last Face de Sean Penn, avec Charlize Theron, Javier Bardem, Adèle Exarchopoulos, Jean Reno… Etats-Unis, 2016. En compétition au 69e Festival de Cannes.