Restless, de Gus Van Sant

 

 

L’amour avant la mort

Image du film Restless de Gus Van SantProjeté en ouverture de la sélection Un Certain Regard, Restless de Gus Van Sant retrace le parcours pour le moins singulier de deux adolescents en prise avec la mort. Annabel, incarnée par une Mia Wasikowska à la beauté très “Jean Seberg”, aime la vie mais va bientôt la perdre. Elle est atteinte d’un cancer et n’en a que pour quelques mois. En attendant, elle s’accroche à la moindre expression de vie que la nature a bien voulu offrir. Elle voue une fascination à Darwin, aux oiseaux marins et se dit “naturaliste”. Enoch, habité par la fougue du jeune Henry Hooper, fils de feu Dennis, a quant à lui été déclaré “cliniquement décédé”, l’espace de trois minutes, suite à un accident de voiture dans lequel il a perdu ses parents. Anéanti, culpabilisé par l’idée d’être encore en vie, le jeune homme s’est depuis replié dans une solitude totale et volontaire. Il court les cérémonies funéraires auxquelles il n’est pas invité, histoire de sentir l’odeur de la mort. Pour le guider dans son cheminement intérieur, il parle à Hiroshi, le fantôme d’un pilote de guerre kamikaze. Un confident privilégié avec lequel Enoch partage ses états d’âme. Bref, Restless, c’est la rencontre de deux trajectoires que tout oppose, entre Annabel qui s’efforce de profiter de ses derniers instants sur terre et Enoch qui souhaiterait être six pieds dessous.

A travers Elephant ou encore Paranoïd Park, le réalisateur américain nous avait habitués à un traitement plutôt sombre, voire morbide, de ces temps adolescents incertains et fragiles. Avec Restless, Gus Van Sant innove à partir d’un scénario signé Jason Lew en nous plongeant dans une romance étonnamment joyeuse. L’histoire intemporelle d’une heureuse agonie. D’un amour fantasque au seuil de la mort. Mais le cinéaste ne brouille pas complètement les pistes. On retrouve Portland et ses teintes automnales, la ville d’adoption du réalisateur depuis de nombreuses années. Et toujours cette grande maîtrise du cadre, cette photographie douce et élégante signée Harris Savides (qui partage ici son sixième film avec le réalisateur) et ce rythme à la mélancolie onirique qui font l’esthétique envoûtante de Gus Van Sant.

La trame narrative du film épouse cette idée douceâtre que l’on apprécie d’autant plus la vie lorsque l’on sent qu’elle nous échappe. Mais Gus Van Sant en propose ici une interprétation singulière en détournant le registre niaiseux de la comédie romantique. Il feint sans cesse d’en emprunter les chemins pour bifurquer avec humour et ironie et dérouler au final une histoire d’amour à l’amertume délicate où s’entrelacent la vie et la mort. Baigné par les ténèbres, le film ne s’y enfonce jamais. Il reste là, dans une sorte d’entre-deux envoûtant, aux frontières du réel. Mais la mort qui habite Restless n’est pas effrayante. Le cinéaste s’évertue à la tourner en dérision pour mieux l’aborder de front. La ligne qui sépare vie et trépas s’estompe. On parle aux disparus, on joue à Touché Coulé avec un fantôme japonais. On fait d’une morgue son terrain de jeu. On s’amuse à mettre en scène sa propre mort, façon Shakespeare. Peu à peu, à l’écart de tous, portés par leur fougue et leur jeunesse, Annabel et Enoch parviennent à se construire un royaume dont elle est la reine et lui le roi. Une façon pour eux de narguer le destin, de défier la maladie pour repousser l’inéluctable.

Restless de Gus Van Sant, avec Mia Wasikowska, Henry Hopper, Ryo Kase… Etats-Unis, 2011. Sortie le 21 décembre 2011.