Raman Raghav 2.0, d’Anurag Kashyap

 

Serial curryller

Raman Raghav 2.0Anuraq Kashyap continue de dépoussiérer le cinéma indien. Après avoir déconcerté avec les violents et stylisés Gangs of Wasseypur et Ugly, il monte encore d’un cran avec un thriller sadique et outrancier. Mais terriblement déjà vu pour les Occidentaux bercés aux tueurs en série, scènes de drogue, de sexe et autres dézingages sanguinolents en tous genres. Car ce qui faisait la spécificité de Kashyap, c’était de reprendre les codes du cinéma policier à l’américaine (voire à la sud-coréenne) et de pulvériser tous les clichés du cinéma made in India, avec danses bollywood interminables, histoires d’amour sucrées et décors chatoyants. Sauf que depuis, il y a comme un petit air de déjà-vu qui transpire de tous les plans. Heureusement, aucune chanson ni chorégraphie, mais des images saturées et stylisées, poisseuses et parfois sensuelles qui émaillent un film noir de jais. On y suit Ramanna, petit malfrat de Mumbai, fasciné par le tueur en série Raman Raghav, l’un des plus redoutables que l’Inde ait connu dans les années 1960. Et Ramanna dont le passé trouble (papa qui le viole, lui qui en fait de même sur sa jeune sœur) le hante, décide de suivre ce glorieux exemple et de fracasser son prochain avec une barre métallique. Et en plus, ce serait Dieu qui lui indiquerait ses victimes potentielles, rien que ça. Mais ce qui lui fait perdre complètement pied, c’est sa rencontre avec Raghavan (subtilité quand tu nous tiens), un jeune flic fougueux et cocaïnomane qu’il tient pour son jumeau maléfique, apte à poursuivre son œuvre.

Si on se base sur un thriller pur et dur, ce Raman Raghav 2.0 ne fait pas dans la dentelle, loin de là. Le tueur est méchant, sans foi ni loi et le policier à ses trousses ne vaut pas mieux. Et il y a évidemment une belle à protéger qui ne demande que de l’amour qu’elle ne reçoit qu’à intervalles nocturnes. En revanche, si on prend le point de vue du film indien, le thriller revêt une tout autre parure, bien plus malsaine. Raghavan se perd entre sexe, drogue et insomnies, Ramanna l’observe dans ses moindres faits et gestes, jusqu’à tomber amoureux de son poursuivant. Tous les deux ne songent d’ailleurs qu’à une seule chose : éliminer ceux qui se mettent en travers de leurs chemins, même s’ils font partie de leur famille. Et Kashyap de ne rien éluder : ni les mots plus que grossiers (« enculé » ne faisant pas partie du vocabulaire bollywoodien jusqu’à présent), ni les scènes de sexe et de nudité, ni la violence éclaboussée de sang. Le réalisateur semble fasciné par sa propre œuvre et ses deux anti-héros qu’il filme comme on le ferait avec des femmes fatales, forçant le spectateur à les adorer autant que les détester. Des icônes sombres et tourmentées impeccablement campées par Nawazuddin Siddiqui (Ramanna) et Vicky Kaushal (Raghavan), rejoints par la sculpturale Sobhita Dhulipala, loin des rôles de demoiselle en détresse que sa beauté pourrait le faire croire. Ici, aucune once d’espoir à se mettre sous les rétines, seulement des acteurs cinégéniques. Toujours ça de pris. Une bonne nouvelle venue d’Inde, en attendant un prochain film tout aussi sombre, mais plus subtil.

 
Raman Raghav 2.0 d’Anurag Kashyap, avec Nawazuddin Siddiqui, Vicky Kaushal, Sobhita Dhulipala et Mukesh Chhabra. Inde, 2016. Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs 2016.