Play, de Ruben Östlund

 

Jeu d’enfant

Play de Ruben OstlundDepuis le début de ce festival, j’attends le choc. La claque. L’évidence. Et pendant une bonne partie du film, Play aurait pu être celui-là. Aurait dû être celui-là, si l’épilogue ne trahissait pas des intentions floues et dérangeantes. Parce que le propos est intéressant. Et la description d’un jeu social, minutieuse. Une bande de jeunes Noirs survets-capuches, ayant intégré ce qu’ils représentent dans la société (suédoise au moins), n’ont même pas besoin d’user de la violence pour opérer une domination sur des gamins à peine plus jeunes, mais bien plus proprets. Ici, la violence devient superflue dans la mesure où on les en croit capables. La menace ne provenant que du fait d’être ce qu’ils sont. Ainsi rassemblés, ils insufflent « naturellement » la peur. Une peur qui leur suffit, avec une petite dose de jeu good cop/bad cop, pour prendre l’ascendant et manipuler comme bon leur semble les petites victimes. En ce sens, Ruben Östlund pointe intelligemment un cercle vicieux. Au lieu de tenter de sortir d’une spirale de domination d’un groupe sur l’autre, ces gamins-là utilisent leur position, a priori pas la meilleure, pour prendre le pouvoir. Et finalement être fidèles à ce qu’on attend d’eux. Et pour montrer leur degré de conscience du système dans lequel ils s’inscrivent, l’un des agresseurs finira même par avoir cette phrase, sur le mode « tu t’attendais à quoi ? » : « Tu montres ton portable à cinq Blacks juste parce qu’ils te le demandent. Même un gamin de 3 ans sait qu’il faut pas faire ça. » Les gosses bien sages sont donc terrorisés, avant même que quoi que ce soit ne se soit dit entre les deux groupes. Le simple fait que les présumés délinquants, un peu perturbateurs dans un magasin de sport, envoient un ballon en direction des seconds suffit à prendre contact. S’ensuit alors une étrange errance. Fascinante même. Les uns jouent à humilier les autres. Qui souffrent, mais se soumettent sans trop rechigner, prêts à tout pourvu que ça finisse. Ils reconnaissent la domination, sinon comme légitime, au moins comme effective. La bande désormais supérieure mettant en place un jeu de rôles bien orchestré entre empathie, compréhension, menace sous-jacente et violence potentielle.

Play est surtout un choc parce que la forme est brillante. Des plans fixes. Longs. Des plans-séquences fixes. Où beaucoup de choses se passent, au premier et en arrière-plan. Où des gamins de 14 ans tiennent parfaitement leur rôle, pendant parfois près de dix minutes, passant d’une émotion à une autre, enchaînant les phases de jeu toujours au sein du même plan. En dehors de la performance d’exécution, le dispositif fait sens. Et c’est suffisamment rare pour être noté. Entre films formels, mais creux, et films forts, mais à la réalisation plan-plan, voir la manière dont Ruben Östlund utilise le hors-champ inhérent au plan fixe, celle dont il organise ses cadres, et surtout sa façon de créer une tension palpable est saisissant. Puissant, même. Ses plans embrassent tout. La lâcheté des uns et la peur des autres. L’organisation des deux bandes, leurs interactions, l’une par rapport à l’autre, et au sein de chacune. La détresse aussi, contre l’oppression.

Et puis vient le sous-texte. Ce qui fait que Play n’est pas le chef-d’oeuvre espéré. Parce qu’on ne peut s’empêcher de penser que le choix des origines et de l’identité des personnages n’est pas insignifiant. Les agresseurs sont noirs. Tous les cinq. Les agressés sont blancs, blonds. Sauf un, un Asiatique. Alors que le réalisateur souligne la molle intervention des témoins de scène de violence, c’est lorsque les pères des victimes s’en prennent à l’un des agresseurs, soudain à son tour isolé et fragile, que quelqu’un s’interpose. Deux femmes. Dont une enceinte. Ajoutons à cela que, de retour de leur périple, s’étant fait dépouiller de toutes leurs affaires, les trois gosses proprets se prennent une amende et un long sermon parce qu’ils resquillent dans le tram, quand personne n’a rien dit au moment où, quelques heures plus tôt, le même tram était le théâtre du sentiment de surpuissance des agresseurs. Dans la dernière demi-heure du film, s’instaure le malaise. Et au fond, on se demande. Où veut-il en venir ? Qu’est-ce qu’il veut dire ? Je ne comprends pas bien, ou je ne veux pas comprendre, je ne sais pas. Alors que le propos sociologique était brillant, pourquoi s’engager maladroitement sur ce terrain identitaire glissant ? Depuis le début de ce festival, on reproche souvent aux films de compter une demi-heure de trop. Celle-ci remet en cause le film, interroge et dérange. Malheureusement, pas dans le bon sens du terme.

Play, de Ruben Östlund. Suède, 2011. Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs 2011.