Patti Cake$, de Geremy Jasper

 

Comment faire du vieux avec du neuf

Patti Cake$Patti fait partie de celles qui rêvent leurs vies plutôt que de se lancer dans l’arène. Elle habite dans une petite ville du New Jersey, exerce le doux métier de barman dans un restaurant miteux où sa mère vient vomir régulièrement. En surpoids, surnommée Dumbo par toute personne qu’elle rencontre, la bouclette blonde et le regard d’acier, elle ne survit que grâce à son flow (elle rappe comme personne), son meilleur ami Jheri et sa grand-mère Nana. Elle, ce qu’elle voudrait, ce n’est plus avoir une mère alcoolique qui lui taxe ses pourboires, c’est groover sur les plus grandes scènes, produite par sa star préférée, le grand OZ qui inspire et expire des dollars et des substances illicites. Alors, elle prend le taureau par les cornes et avec Jheri et le mutique (et fascinant) Basterd, elle crée son propre groupe, PBNJ où Killa P, son double du show biz, va essayer de s’imposer.

N’en jetez plus, la couple est pleine. Patti Cake$ est le parfait représentant des films américain estampillés « auteur ». On a un personnage fort (dans tous les sens du terme) qui ne connaît que la misère et qui rêve de gloire. On a un entourage peu reluisant. On a une battle de rap à la 8 miles. On a des épreuves qui pleuvent sans discontinuer (grand-mère malade, argent qui se tarit, petits boulots qui s’accumulent, insultes qui ricochent sur la caboche et autres découragements venant de toutes parts). On a la chute du rêve et on a la rédemption. On a Patti qui pense sur le capot de sa voiture, les phares allumés et qui écrit la chanson qui la révèlera à elle-même. On a la mère qui ne soutient pas sa progéniture et qui finira par avoir un moment de lucidité et de maternité. On a l’histoire d’amour interraciale. Oui,Patti Cake$ coche toutes les cases.

C’est dommage car le propos de Geremy Jasper se veut résolument moderne : une héroïne atypique (une Precious blanche à bouclettes), du hip hop chiadé (même si ça aurait pu se passer dans le monde de la country), des scènes à la fois drôles et déprimantes inscrites dans l’air du temps et des morceaux de musique qui restent en tête. Ce n’est pas pour rien que ce brillant réalisateur de clips (notamment pour Florence and the Machine) a le sens du rythme et de l’esthétique. Il a surtout celui du flair, avec son casting imparable : le trio féminin de la grand-mère, de la mère et surtout de Patti elle-même, attachante et au charisme indéniable. Ce Divines à l’américaine avait tout pour séduire sur le papier et il séduit, d’ailleurs, en grande partie, grâce à l’abattement de ses acteurs, plus vrais que nature, qui vivent chaque scène comme si elle devait être la dernière de leur existence. Danielle Macdonald dévore l’écran, manipule les mots comme une poétesse des cités, crache son mal-être et ses espoirs déçus avec une force redoutable. Pour elle, Patti Cake$ vaut le déplacement. En espérant la retrouver la prochaine fois dans un scénario moins convenu.

 
Patti Cake$ de Geremy Jasper, avec Danielle Macdonald, Bridget Everett, Cathy Moriarty, Siddarth Dhananjay, Mamoudou Athie… Etats-Unis, 2017. Présenté à la 49e Quinzaine des réalisateurs.