Jeu drôle
A 80 ans, le très facétieux Alain Cavalier est revenu sur la Croisette avec Pater, une œuvre d’une liberté juvénile, pleine d’énergie et d’insouciance volontaire. Fidèle à ses mises en scène faites de bric et de broc, c’est la caméra DV à la main que Cavalier a réalisé ce film en forme de “journal intime”, ou plus exactement dans le cas présent, de “carnet de campagne”.
Un film aux histoires imbriquées. L’histoire d’un président de la République (Alain Cavalier) et de son Premier ministre (Vincent Lindon) en campagne. Leurs mesures, entre autres : réduire l’écart de salaire entre un ouvrier et son patron. Restituer la Légion d’honneur lorsque l’on décide de quitter le pays. Ou encore la tolérance zéro pour des élus qui détourneraient ne serait-ce qu’un euro. Faut pas déconner avec le Premier ministre Lindon.
Mais Pater, c’est aussi l’histoire d’un cinéaste et de son acteur qui ont choisi de partager avec nous leur travail. De filmer un film en train de se faire. D’interroger le cinéma et ses réalités.
C’est aussi et enfin l’histoire de deux amis, Alain, l’espiègle malin, et Vincent, le gentil bouillonnant. “Il me plaît. Il est chaleureux. Un peu impulsif. Mais je le freinerai. Il est robuste. Il est terriblement sympathique. On l’aimera”, dit Cavalier à propos de son ami. Ou peut-être serait-ce le réalisateur à propos de son acteur, ou bien encore le président à propos de son Premier ministre.
Pater fourmille de ces instants aux lectures multiples, où l’on tâtonne, hagard, entre le faux documentaire et la vraie fiction. Jeu drôle et jeu de rôles où l’on s’amuse à déceler ce qu’il y a de Cavalier dans ce président ou de Lindon dans ce Premier ministre. Et vice versa. Peu à peu, on voit l’acteur s’approprier son personnage, jusqu’à s’y confondre. “J’ai l’impression que je peux vraiment être Premier ministre”, se confie Vincent Lindon face à la caméra. “Si je suis bien entouré, si je choisis les bonnes personnes, si j’ai la bonté en moi, si j’ai du bon sens, que je sais trier les bonnes et les mauvaises idées.”
Pater est un film exceptionnel qui nous plonge au cœur du processus de création, où le contenu apparaît presque moins essentiel que son contenant. Une mise en abîme géniale. L’affirmation intime et profondément optimiste que le cinéma va bien. Et la conviction presque militante qu’il saura toujours s’insinuer là où on ne l’attend pas. Avec Pater, Alain Cavalier honore une nouvelle fois toute l’étendue de ses talents, en s’accaparant un sujet très en vogue – la pratique du pouvoir – pour mieux en démultiplier les perspectives par un simple jeu de formes. Une inventivité et une sensibilité qui semblent avoir manqué à La Conquête très orthodoxe de Xavier Durringer.
Pater d’Alain Cavalier, avec Alain Cavalier et Vincent Lindon. Sortie le 22 juin 2011. En compétition au Festival de Cannes 2011.