Mandy, de Panos Cosmatos

 

Nicolas Rage

Mandy, de Panos CosmatosIl était une fois un bucheron taiseux et dévoué qui vivait un amour fusionnel avec une femme fragile et torturée qui portait sur elle les stigmates d’un passé douloureux. Alors qu’ils se croyaient protégés de tous les dangers du monde dans leur somptueuse bicoque forestière, les tourtereaux vont être violemment éjectés de leur paradis sylvestre le jour où Madame Mandy croise la route d’une vilaine secte crypto-christique dirigée par un ex-chanteur de rock FM assujetti à une bande de bikers mutants qui se chauffent au LSD…

Avant d’esquisser la moindre tentative d’analyse rationnelle, il est important de dire que Mandy est une création improbable et inconfortable tirée de la matière grise en surchauffe du fils d’un des barons de l’action movie US des années 1980, réalisateur à ses heures des « stallonesques » Rambo II et Cobra. Mais aussi que Mandy est un spectacle son et lumière tordu et abscons qui imprime la rétine à mesure que son poison narcotique se déverse sur l’écran ; un acte radical répulsif et jouissif qui éjecte les spectateurs de la salle comme du pop corn ; un revenge movie psychédélique taillé pour décevoir les adeptes du cinéma sévèrement burné de papa Cosmatos ; une montée d’acide de deux heures, et sans descente, qui rappelle parfois les grands films barrés de Ken Russell (Tommy, Les Diables, Au-delà du réel…). Enfin, Mandy est une fable sordide qui n’attendait que Nicolas Cage pour exister…

Plus concrètement, le film de Panos Cosmatos est une tragédie en trois actes – le bonheur, le malheur, la vengeance – qui propose une relecture sous narcotique des codes du genre pour aboutir à un objet filmique incongru qu’on croyait disparu depuis la fin des années 1970. Dans ce refus buté des recettes narratives mainstream, où on se soucie finalement comme d’une guigne des tenants et aboutissants d’une vengeance qui devrait nous prendre aux tripes, on profite de tout le bréviaire psyché qui faisait le charme d’un certain cinéma vintage. Entre un traitement colorimétrique outrancier, un saupoudrage d’inserts d’animation délirants, d’éprouvantes longueurs contemplatives dénuées de sens, un goût prononcé pour les très gros plans, une musique ambient aux infra-basses faites pour déplaire (mention spéciale pour le thème génial du générique de début signé King Crimson) et une bonne dose de splatter à l’ancienne, le programme y est chargé. Et si l’on tient absolument à trouver un sens à tout ce déferlement d’absurdités, on peut au mieux suggérer que les paysages torturés façon heroic fantasy que dessine Mandy représentent le paradis par rapport à l’enfer qu’elle s’apprête à vivre ici bas. Creuser au-delà de cette courte analyse serait d’une arrogante inutilité.

Au rayon humain, les choses ne sont pas plus belles à voir. Du côté des méchants, la secte des Enfants de la nouvelle aube qui va faire rôtir Mandy en enfer est un ramassis de freaks pathétiques menés par un gourou ignoble interprété tout en suavité par l’excellent Linus Roache (le roi Ecbert des trois premières saisons de Vikings). Quant aux bikers de l’Apocalypse, à qui les Enfants vouent un culte craintif, ce sont des monstres effrayants sublimés par la dope qui amènent une touche surnaturelle plutôt maligne. C’est d’ailleurs à ces ogres motorisés, dont on ne sait rien, que l’on doit les scènes d’action les plus excitantes du film.
Côté gentil de l’histoire, le personnage unique est de rigueur. La pauvre Mandy étant ramenée au rôle ingrat de victime évanescente sans réelle consistance, tout converge alors vers le héros ivre de vengeance, descendant rural et sévèrement défoncé de Charles Bronson. Avec sa filmographie qui ne ressemble plus à rien depuis qu’il s’astreint à un régime à base de navets, Nicolas Cage devenait de fait le déglingo idéal pour endosser le rôle du bûcheron amoureux qui traverse le rubicon. Halluciné, toujours à côté de la plaque, balançant quelques répliques ineptes sur un tempo qui n’appartient qu’à lui, Nico joue la rage comme personne et assume à lui tout seul le décalage permanent d’un film qui ne se prend jamais au sérieux malgré son côté pompier. La preuve avec ce plan terminal où son sourire ahuri face caméra, visage en sang et clope au bec mériterait de devenir instantanément un de ces mèmes tordants qui tournent à toutes les sauces sur les réseaux sociaux. Finalement, après deux heures éprouvantes illuminées par cette ultime pirouette hilarante, on se dit qu’on vient de se faire avoir par un drôle de conte pour adultes, kitsch, trash, gratuit, pénible mais jubilatoire. Ce qui fait quand même beaucoup d’émotions pour un mauvais film qui sent le plaisir coupable à plein nez.

 
Mandy de Panos Cosmatos, avec Nicolas Cage, Andrea Riseborough… Etats-Unis, 2018.