Goodnight Mommy, de Veronika Franz et Severin Fiala

 

Goodnight Mommy, de Veronika Franz et Severin FialaDeux jumeaux, Lukas et Elias, jouent à travers champs, dans les bois et dans la grande maison familiale en attendant le retour de leur mère. Quand celle-ci revient, le visage masqué par des bandages, les deux jumeaux la trouvent froide et distante. Est-ce vraiment leur mère ?

Goodnight Mommy distille une atmosphère étrange et irréelle. Des jumeaux (un élément courant du cinéma fantastique), une maison isolée et froide dont la couleur ne semble jamais s’échapper, une mère fantomatique et une relation familiale mystérieuse : la première moitié de Goodnight Mommy est consacrée à installer un malaise durable – parfois avec quelques longueurs, mais dans l’ensemble avec efficacité. Les réalisateurs prennent le temps de développer l’intrigue, sans cacher l’influence de leurs deux modèles autrichiens : Ulrich Seidl d’abord, qui produit le film et partage le même intérêt morbide pour la psyché humaine. Michael Haneke, ensuite, dont l’œuvre chirurgicale, froide et réflexive est souvent convoquée ici. De tous les films de Haneke, c’est évidemment à Funny Games qu’on pense lorsque Goodnight Mommy sombre dans la violence et la torture.

Pour pouvoir prouver si cette femme est bien, oui ou non, leur mère, Lukas et Elias vont passer aux choses sérieuses. Une deuxième partie beaucoup plus explicite, qui fait la lumière sur les non-dits du début à coups de pleurs et de sang. C’est glaçant et dérangeant ; pourtant révéler le mystère au cinéma est souvent un processus déceptif : Goodnight Mommy ne fait pas exception en voulant expliquer ce que tout le monde présumait déjà – au lieu de se demander qui est la mère, demandons-nous qui sont les jumeaux. Malheureusement, les réponses attendues n’ont pas réellement d’importance narrative, elles viennent surtout arracher le spectateur au monde de l’entre-deux dans lequel il était si inconfortablement installé.

Mais au-delà de l’importance du récit, Goodnight Mommy est un hommage (conscient ou non, qui sait ?) à deux films fascinants du cinéma de genre, le fameux Créatures célestes (Peter Jackson, Grand Prix à Gérardmer en 1995) et le prodigieux et méconnu Mais ne nous délivrez pas du mal (Joël Séria, 1970), tous deux inspirés par la terrifiante affaire meurtrière Parker-Hulme. Trois films, trois traitements différents mais cette même subversion, ces mêmes questionnements sur l’identité et la famille ; ces mêmes figures religieuses à l’incommensurable petitesse, ces mêmes rites purificatoires pervers. Goodnight Mommy s’inscrit dans la lignée de ses deux prédécesseurs, une lignée racée et perturbante dont les représentants qui font date ne sont pas légion. A défaut d’être un chef-d’œuvre, ce premier film de Veronika Franz et Severin Fiala est une pièce ambitieuse et personnelle qui se contrefiche des jumpscares et autres demandes du cahier des charges horrifique, et c’est déjà beaucoup.

 
Goodnight Mommy (Ich Seh, Ich Seh) de Véronika Franz et Severin Fiala, avec Suzanne West, Lukas Schwarz, Elias Schwarz. Autriche, 2014. Présenté en compétition au 22e Festival du film fantastique de Gérardmer.