Le Jeune Ahmed, de Jean-Pierre et Luc Dardenne

 

Le gamin au couteau

Le Jeune Ahmed, de Jean-Pierre et Luc DardenneLa Fille inconnue avait donné le ton. Pour parler de la question des sans-papiers, les cinéastes mettaient le focus sur une jeune médecin belge et sa culpabilité. Ils avaient changé de camp, et traitaient leur sujet d’un point de vue plus proche du leur, disons du côté de la bourgeoisie. Avec Le Jeune Ahmed, Jean-Pierre et Luc Dardenne ont beau coller au corps de ce jeune adolescent radicalisé, de tous les plans comme pouvait l’être Rosetta, ils restent comme extérieurs. Jamais ils ne tentent de comprendre leur personnage. Au début du film, le jeune Ahmed est déjà radicalisé. Le sujet n’est donc pas la radicalisation. On voit aussi la détresse de sa mère, à laquelle il semble indifférent. Le sujet n’est donc pas non plus la démission des parents. Envoyé dans un centre fermé, on voit le regard bienveillant de son éducateur, qui l’accompagne en respectant son obsession de l’heure de la prière quoi qu’il en coûte. Dans son travail à la ferme, on s’amuse des premiers émois qu’il suscite auprès de la jeune fille avec qui il passe ses journées. Tout cela se déroule sans accroc. Ah, le sujet n’est toujours pas l’impuissance des institutions à agir, comprendre, raisonner un jeune fanatisé. Le moment de bascule, pour le jeune Ahmed, dépeint en garçon de 13 ans, avec sa naïveté et son immaturité, c’est le refus de cette jeune fille de se convertir à l’islam pour pouvoir se marier. Sa demande provoque le rire du spectateur, preuve que les frères Dardenne n’ont pas su susciter l’empathie et que l’on observe ce gamin de loin, comme un être étrange qui suit des rituels de manière mécanique, sans esquisser une compréhension de sa motivation. Et alors qu’il passe tout le film à montrer qu’il a changé, tout en fomentant une nouvelle agression, la rédemption arrive au tout dernier plan du film. Un retournement aussi soudain qu’incompréhensible, tant on n’est pas avec cet ado, mais simplement derrière lui. En conférence de presse, les frères Dardenne, questionnés sur cette fin inattendue, ont d’ailleurs répondu qu’ils s’étaient longuement interrogés et n’avaient pas trouvé autre chose. Il ressort effectivement cette forte impression : les frères Dardenne ont fait un film mais ne savaient pas quoi dire.
 
Le Jeune Ahmed de Jean-Pierre et Luc Dardenne, avec Idir Ben Addi, Victoria Bluck, Olivier Bonnaud, Myriem Akheddiou… Belgique, 2019. Prix de la mise en scène du 72e Festival de Cannes. Sortie le 22 mai 2019.