The Lobster, de Yorgos Lanthimos

 

Pince-sans-rire

The Lobster, de Yorgos Lanthimos Et la belle Hellène se releva… Brisée, donnée pour morte, la Grèce n’est pourtant pas prête à rendre les armes. Et ce n’est pas sur, mais bien avec son bouclier que l’hoplite athénien Yorgos Lanthimos continue de participer à l’effort de guerre de tout un peuple à travers son cinéma. Un effort mené en exil, à Londres, sa terre natale ne lui offrant plus les moyens de faire ses films. Après Canine (2009) et Alps (2011), The Lobster (« Le Homard », donc) confirme toute la singularité du réalisateur et sa prédilection pour l’étrange, le fantastique et la science-fiction.

Dans la lignée de 1984 d’Orwell ou du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, Yorgos Lanthimos y dépeint une société future pas si lointaine où des célibataires, en accord avec les lois de la Ville, sont arrêtées et transférées à l’Hôtel, sorte de centre de rééducation conjugale forcée. Là, on efface chez eux toute marque de distinction. Une fois installés dans leur chambre, les vilains célibataires disposent de 45 jours pour trouver leur âme sœur. En cas d’échec, ils seront transformés en animal. Animal que chacun d’entre eux aura pris soin de définir au préalable auprès de la direction (c’est le chien qui revient le plus souvent. C’est pour ça qu’il y en a autant ! Pour David (un Colin Farrell étonnamment bedonnant), ce sera donc le homard. Un, parce qu’il aime bien la mer. Deux, parce que ça vit longtemps. Et trois, parce qu’il reste fertile jusqu’à son dernier souffle. Mais désespéré, il parvient à s’échapper pour rejoindre les Bois où les Solitaires (menés par une Léa Seydoux chef guerrière) ont trouvé refuge. Autre camp, autres règles : chez les Solitaires, tout contact est proscrit. Aucun flirt, ni baiser, ni coït ne sont autorisés… Sous peine d’être très sévèrement et physiquement sanctionné.

Yorgos Lanthimos continue donc de dérouler son drôle de cinéma, plongeant son Lobster dans ce drôle de monde où la vie à deux est devenu le seul modèle toléré. Où l’on considère la myopie et un saignement de nez comme autant d’atomes crochus. Où l’amour, déshumanisé jusqu’à la lie, peut pourtant s’avérer tout aussi émancipateur qu’aliénant. Il y est tout puissant. Et un monde où, c’est là le plus terrible, le camp de ceux qui résistent se révèle finalement tout aussi liberticide. Difficile alors d’y trouver une quelconque chance de devenir soi-même, si ce n’est peut-être en prenant ses jambes à son cou pour vivre « hors-cadre », sans Dieu ni maître. Inventif, burlesque, absurde, acerbe, provocant, ce Lobster séduit à plus d’un titre. Mais au-delà de la simple séduction, le film présentait a priori tous les charmes pour nous enthousiasmer, nous emporter dans un délire prophétique bien plus effréné quant aux dérives stupides et violentes des normes modernes. On reste un peu sur notre faim devant ce récit sous-exploité, ayant peut-être rêvé notre Hellène un peu trop belle.
 
The Lobster de Yorgos Lanthimos, avec Colin Farrell, Rachel Weisz, Ben Whishaw, Léa Seydoux… Grèce, 2015.