Hara-kiri : mort d’un samouraï, de Takashi Miike

 

Miike, un (re)make bien

Hara-kiri de Takashi MiikeA l’annonce de la présence du nouveau Takashi Miike au Festival de Cannes, ma pensée est allée immédiatement à Johnnie To, réalisateur (presque toujours) génial qui s’est lamentablement fourvoyé au même Festival il y a deux ans avec Vengeance. Sûrement son plus mauvais film, qui m’a valu à l’époque deux heures de souffrance et des semaines complètes à tenter d’expliquer à mes amis que c’était une erreur de parcours, mais que sinon, « vraiment, Johnnie To c’est formidable, d’habitude ! » En ce qui concerne Takashi Miike, j’ai donc, pendant deux mois, croisé les doigts en espérant que Hara-kiri : mort d’un samouraï soit une grande œuvre du réalisateur. Il faut dire que les derniers opus de Takashi Miike avaient de quoi laisser songeur : le diptyque Crows Zero était une pub géante pour L’Oréal sur fond de bastons fatigantes, quand Sukiyaki Western Django, avec son titre amusant et sa guest star Quentin Tarantino, ne tenait pas le quart de ses promesses. Il est comme ça, Takashi : capable de faire de très mauvais films d’un côté, et de l’autre de donner au film d’horreur l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre (le cruel et malsain Audition), de faire d’une trilogie déjantée une référence du cinéma de genre asiatique (Dead or Alive), d’ausculter avec force et justesse la société japonaise (Gozu, Visitor Q), de susciter la controverse avec une géniale adaptation de manga (le très sadique Ichi the Killer), et même de faire une balade poétique en Chine (Bird People in China).

Alors quand Miike s’attaque à un chef-d’œuvre du film de samouraïs signé Masaki Kobayashi en 1962, il valait mieux qu’il soit à la hauteur. Et on était en droit de se demander comment ce cinéaste touche-à-tout mais volontiers exubérant allait rendre justice à ce monument cinématographique méconnu chez nous. L’histoire d’un samouraï déchu qui se rend dans le fief du clan li pour accomplir seppuku (le suicide rituel, davantage connu en Occident sous le nom hara-kiri) et révèle des intentions plus profondes, était filmée avec austérité et précision par Kobayashi. Même si l’envie d’en faire trop point à plusieurs reprises dans le Hara-kiri 2011, Takashi Miike met en scène avec une sobriété qu’on n’avait qu’entraperçue chez lui. Même l’usage de la 3D, qui aurait pu être chez le cinéaste un prétexte au cabotinage des comédiens et valoir une surenchère de plans fantaisistes, est particulièrement subtil, apportant une profondeur aux décors et une plus-value certaine à plusieurs séquences. Miike n’abuse pas d’images chocs (étrangement, son remake est même moins violent que l’original, c’est suffisamment rare pour être noté) et dirige parfaitement des acteurs exceptionnels, à commencer par celui qui incarne le samouraï déchu Hanshiro Tsugumo, Ebizo Ichikawa dont le jeu tout en nuances fascine.

Au fur et à mesure que l’intrigue se dévoile, le spectateur est amené à faire le même chemin intellectuel que celui qui se joue à l’écran : l’émotion ressentie évolue parce que les personnages se livrent constamment. Plus on en apprend, plus l’évidence apparaît. Hara-kiri dénonce un code d’honneur du bushido anachronique en temps de paix (l’action se situe une trentaine d’années après la décisive bataille de Sekigahara), indigne et souvent bafoué. Au XVIIIe siècle, Jocho Yamamoto écrivait le Hagakure, recueil qui définissait les codes de vie des samouraïs, et regrettait déjà les manquements commis. Le Hagakure ne fixait pas seulement des règles de guerre, mais aussi d’honneur, de politesse, des normes de respect des autres. Comme Jocho Yamamoto, Hanshiro Tsugumo représente la véritable droiture, celle capable d’infléchir ses décisions en vertu du bien et du mal. Dans une scène finale exaltante, superbement amenée par le biais de flash-back dépouillés, la leçon du samouraï déchu traverse les époques et trouve une puissante résonance avec le monde actuel – japonais et occidental. Takashi Miike signe ici l’un de ses meilleurs films – dont le seul défaut est probablement de rester trop proche de l’original – et démontre sa maîtrise en ajoutant à son palmarès de cinéaste tentaculaire un nouveau genre, le film de sabre, auquel il rend un hommage passionnant.

Hara-kiri : mort d’un samouraï (Ichimei) de Takashi Miike, avec Ebizo Ichikawa, Koji Yakusho, Hikari Mitsushima, Munetalla Aolli, Eita Nagayama. Japon, 2011. En compétition au Festival de Cannes 2011.