Cloclo, de Florent-Emilio Siri

 

Quelques mots, et un peu de musique…

« Ces mots-là peuvent paraître simples ! Mais ils sont vrais, et puis c’est mon histoire… »

Affiche du film Cloclo de Florent-Emilio SiriPourquoi ? Pourquoi… ce film ? Un peu partout (même sur Grand Écart !), la question est sur toutes les lèvres… et la réponse s’impose de manière fracassante. Avec un tel synopsis de départ, le résultat final tient du miracle. Jusqu’à faire passer certains spectateurs transcendés pour des monomaniaques, pris au mieux comme de gentils farfelus, au pire comme des fans transis des soirées Direct 8. Il s’agit donc, ici, de remettre les pendules à l’heure. Avant d’être un grand film français sur un ringard, Cloclo est un grand film tout court. Pour le coup, histoire d’être vraiment original… commençons donc par le début. Un rapide balayage de l’affiche suffit à comprendre le “pourquoi”, justement : le nom de celui qui se trouve derrière la caméra.

Le premier film très personnel (Une minute de silence), le coup de poing du genre (Nid de guêpes), l’essai blockbuster US (Otage), le fier retour au pays (L’Ennemi intime), et, enfin, la consécration artistique totale (Cloclo) : le parcours du cinéaste Florent-Emilio Siri est décidément désarçonnant de logique, de métrage en métrage ! Ce chemin d’expérimentations est très pratique pour décrire la personnalité propre de l’artisan : chaque fois il est question d’intégrité comme de perfectionnement formel, un petit peu comme si la forme et le fond étaient puissamment liés, ce qui implique finalement une large compréhension du langage de l’image…
Un cinéma unique, donc, dans le paysage national… où chaque œuvre naît autant d’une vocation intime (la sincérité pure d’un auteur, qui, ici, se reconnaît dans un personnage d’artiste populaire influencé par ses origines sociales…) que d’une nécessité de film-maker (apprivoiser, comprendre, retenir et enfin appliquer à la perfection la technique apprise). Cloclo se voit et se revoit ainsi dans sa richesse plurielle comme un objet impressionnant visuellement et troublant d’authenticité non feinte. Siri l’annonce sans fausse modestie : aujourd’hui, il connaît tous les « trucs » techniques sur le bout des doigts. Et il peut en faire usage à l’envi… Que commence le spectacle !

Et ce spectacle, c’est un retour aux sources, la résurrection du cinéma populaire, en opposition à un certain cinéma populiste (Onteniente, Chatilliez, Francis Veber, etc.) Cloclo n’est pas une biographie nostalgique où le didactisme scolaire l’emporte sur la motivation de celui qui veut faire rêver les foules, mais un réservoir à évocations, « une chanson populaire » qui rappelle le pouvoir du septième art en tant qu’illusion, puits d’inconscient culturel, et, surtout, médium incroyablement sensitif. Revenir de Cloclo, c’est garder en tête une effusion d’images obsédantes et de sensations qui… font aimer le cinéma. En toute simplicité.

 

Les deux mémoires

Jérémie Renier dans Cloclo de Florent-Emilio SiriCar partir d’un sujet voué à l’illustration désuète pour en faire une véritable histoire de cinéma, très picturale mais tout autant dotée d’un scénario efficace, cela tient d’une révélation presque miraculeuse, c’est-à-dire d’un mariage surprenant entre un auteur et la figure qu’il rend vivace. Une figure transformée, passée d’interprète kitsch à icône de cinéma. Claude François, dont la vie est progressivement contée, devient chez Florent-Emilio Siri le symbole d’une double-mémoire.

Il s’agit, du premier bout de la lorgnette, de faire vivre une mémoire complètement intime, le cinéaste ayant été marqué, comme le chanteur, par ses relations parentales et son adolescence, avant de désirer devenir… un individu apte à parler au peuple, un artiste populaire, voué à la reconnaissance de son public. De la chanson punchy au cinéma le plus « populaire », justement. Du cinéma de genre au huis clos carpenterien en passant par l’actionner, du film de guerre au film musical (n’en jetez plus), eh bien, il n’y a qu’un pas ! Un pas allégrement franchi d’autant plus que chez Siri comme chez Claude François, il y a toujours cette intention totalement sincère : le chanteur écrit sa vie jour après jour (passions, joies éphémères, amours malheureuses) en morceaux divers, et Siri, lui, étale sa passion communicative en films puissamment émotionnels.

La deuxième mémoire dont il est question est cinéphile. Mais si peu explicite dans son aspect référentiel qu’elle touche d’emblée à la notion d’inconscient… Le traitement réfléchi de Claude François permet à l’artisan de réaliser son Larry Flint, de raconter un passionnant récit, celui d’un homme qui, dans son désir d’amour d’autrui, s’est rêvé entité divine, sous ses oripeaux de star capricieuse (presque rock star), d’icône mégalo, qui, tel Icare, s’est brûlée à force de viser la lumière.

 

L’idole des jeunes/Une icône de cinéma

Jérémie Renier dans Cloclo de Florent-Emilio SiriDevant les yeux fascinés du public (celui dans le film comme celui face au film !), Claude François devient l’espace d’un instant le Ray Liotta dragueur et impulsif des Affranchis, le Jake La Motta jaloux, violent et effrayant de Raging Bull, le Robert De Niro semi-candide mais pas tout à fait innocent de Casino, évoluant dans un monde de faste et de luxure, monde où il apparaît ainsi qu’un mannequin superficiel mais très premier degré, dans le prisme d’un rapport constant de fascination/répulsion très scorsesien, et ce par le biais, parfois, d’un humour de l’arrogance qui est celui du Zuckerberg de The Social Network : l’empathie qui le bouscule à l’antipathie ! En somme, l’être humain dans toutes ses complexités, ambiguïtés, pulsions et sentiments. L’occasion de crier aux quelques gens un peu réfractaires : venez donc savourer un fabuleux taf de scénariste !

Pour se rendre compte de la qualité de la chose, il suffit de décortiquer l’enchaînement des séquences d’une seconde partie frénétique, où la pitié et le pathétisme d’une vanité sont suivies d’un instant mélancolique terriblement évocateur, pour comprendre qu’en analysant minutieusement l’existence d’un « chanteur pour midinettes », Florent-Emilio Siri a su capter l’essence humaine derrière la poupée intouchable, enjeu indissociable des œuvres biographiques de Milos Forman (Amadeus, et surtout Man on the Moon) mais qui faisait défaut aux biopics standards tels que La Môme ou Ray.

Dans une optique constante et positive de filmage à hauteur d’hommes, Siri rappelle que le cinéma, du Tony Montana de De Palma (Scarface) au Mark Zuckerberg de The Social Network, c’est l’humain avant tout, dans ses défauts comme dans ses qualités : il ne s’agit jamais de magnifier le salaud mais de faire fi des facilités stéréotypées pour dresser un portrait complet. Ici, Claude François, en quelques minutes, passe du fils blessé au forcené manipulateur qui enchaîne tubes phénoménaux sur minettes de 15 ans… Voilà un cinéaste qui a TOUT compris à ce dont il parle. Qui a tout compris à l’art, en fait !

 

En avant la musique

Si Cloclo renvoie tant à l’idée première de cinéma, c’est également par le genre auquel il appartient, un genre souvent défiguré ces dernières années (les films de Rob Marshall, doux Jésus !) qui retrouve ici ses lettres de noblesse : le film musical. Et encore une fois tout est lié, la forme comme le fond, la musique étant partie prenante de la vie du protagoniste (et vice versa, puisque Claude François s’écrit en chansons, d’année en année, comme dit plus haut, chacune étant utilisée dans le film comme un ressenti immédiat) comme de la puissance du film, doté d’un sound design impressionnant (pas « vu » cela depuis Drive !). Chaque morceau est sublimé dans ce qu’il a de plus triste ou joyeux, dans son dynamisme propre, dynamisme musical métaphoriquement personnifié par un montage qui se cale sur la rythmique des morceaux du même chanteur, allant d’une pause à un crescendo fou ! Imaginez un seul instant un brillant plan-séquence… avec Le Lundi au soleil en fond sonore. Sans que tout cela paraisse nul, absurde, mais parfaitement dans l’ambiance du moment. Il faut le voir pour le croire : un banal standard chantant les petits oiseaux est utilisé de la même manière que Gimme Shelter !

 

Magnolias et lumières

Jérémie Renier dans Cloclo de Florent-Emilio SiriUne logique de technicien qui manie les tonalités en se référant toujours aux signes évocateurs du scénario (coécrit avec Julien Rappeneau) : ainsi, la photographie littéralement brillante de Giovanni Fiore Coltellacci privilégie les étendues de lumière et les jeux de clair-obscur (ayant attrait aux sentiments, le noir soulignant la colère, la lumière quasi divine surlignant la joie extatique), ce qui a pour effet de subjuguer visuellement comme de se rappeler explicitement les enjeux de l’histoire. Une histoire où il est dès le départ question de luminosités (les présages de la voyante, en Egypte, qui prédit au petit Claude un futur placé sous le signe d’un bain de « grande lumière »…), et ce du début jusqu’à la fin (la pluie de paillettes, et, forcément, cette scène pudique de mort et le symbole de l’ampoule qui annonce la fin d’une vie en grésillant d’un air menaçant). De quoi dé-ridiculiser la mort la plus stupide de toute l’histoire de l’humanité ! (Juste après le Big Bang.)

C’est en s’amusant par ludisme avec ses idées de metteur en scène (ces plans-séquences anthologiques, musicaux, ainsi que le démontre la scène où le final vif de Comme d’habitude est en synchronisation avec le coup d’accélérateur d’un Claude François furieux) que Florent-Emilio Siri parle au public visuellement (la parole de l’image).

 

Cinéma, cinémas

Ce langage visuel est donc éloigné de la frime d’un Brian De Palma ou d’un David Fincher, puisque point de préciosité formelle ici ou de mouvements de caméra à la vocation parnassienne (la beauté du geste pour le geste), juste une manière de communiquer les plus belles sensations par la technique et donc de faire progresser l’histoire. L’illusion du film est celle d’une époque artistique, du rockabilly de Johnny jusqu’à la fièvre disco, et à travers tout cela, Cloclo est le récit, presque épique, réellement dramaturgique, d’un homme qui n’a cessé de se prendre pour l’acteur à l’intérieur d’un film (une autre illusion). La musique, l’image, tout cela se trouve magnifié par le biais d’une mise en scène visant toujours le sensoriel : Cloclo est un vrai projet de film de cinéma.

Et son classicisme (typiquement eastwoodien), c’est-à-dire son traitement linéaire ; de l’enfance à la mort ; permet justement d’accentuer toute la force du crescendo final, en un effet progressif de compte à rebours, compte à rebours déjà présent dans Nid de guêpes. Un gimmick très sûr donc, Siri se servant des astuces d’antan pour livrer sa meilleure œuvre, une œuvre-somme qui mélange le sens du cadrage et la rigueur d’un artisan, l’efficacité et la simplicité « essentielle » jamais simpliste de celui qui conte les histoires au coin du feu : tout Florent-Emilio Siri est là-dedans.

L’idée d’un cinéma altruiste, dénué de cynisme (l’opposé total des dernières frasques nombrilistes d’une Diablo Cody !) et qui se livre à son public dans sa grandeur, sa fluidité, son sensationnalisme en Scope où le déchaînement d’une batterie, de jolies filles et de couleurs semble provenir d’une autre époque, d’un certain idéal artistique aujourd’hui oublié, voire d’un autre pays.

Pourtant, Cloclo est bel et bien un film français, et, si son intensité musicale semble venir d’outre-Atlantique, ses intentions pourraient être celles d’un Henri Verneuil, autre cinéaste populaire français qui jamais ne fut condescendant avec son public, mais lui proposa, au contraire, moult divertissements, action, suspense, et autres expérimentations formelles dans le cadre du film « pour tout le public » (voir I Comme Icare) .

Une œuvre énergique comme la jeunesse et paradoxalement empreint d’une tradition conceptuelle qui tient plus du « baroudeur » : voilà la singularité d’un metteur en scène qui vient d’atteindre une sorte d’absolu, entre l’inconscient et l’héritage, le respect de soi et celui des spectateurs. Cet absolu est ultra-généreux : c’est donner sans compter, à un public qui pourtant refuserait le film en se fixant sur le sujet. Grands Dieux, le su-jet !

Oui, mais depuis quand le sujet correspondrait au film ? Allez, sacrebleu, si avec tout cela vous n’avez pas encore envie de donner sa chance à cette masterpiece, l’histoire d’un chanteur malheureux…

Le refrain disait « c’est la même chanson ». Au final, c’est tellement plus que cela…Tellement plus !

« Et ça revient, ça se retient, comme une chanson populaire. »

 
Cloclo de Florent-Emilio Siri avec Jérémie Renier, Benoît Magimel, Monica Scattini… France, 2012. Sortie le 14 mars 2012.

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