Humeur cannoise #1 : Un petit texte pour rigoler

 

Une certaine tendance du cinéma maralpin

 
Les photographes du Festival de Cannes - (c) FDCSi le beaujolais nouveau est associé au troisième jeudi de novembre, Thierry Frémaux a son heure annuelle la première quinzaine d’avril. Le Lyonnais sort alors de sa tanière, que l’on imagine tapissée par les centaines de DVD moldaves, ouzbeks, micronésiens, péruviens et béninois qui lui sont adressés chaque année, et devient spectacle, lui, le seul homme au monde capable vraiment de dire l’état du cinéma actuel. Accompagné de son Pierre Lescure de président, le voici face à un parterre de journalistes sur les dents, ayant reçu leur invitation à la conférence de presse officielle du Festival entre deux notifications du Pierre & Vacances de La Bocca (respectivement “confirmation de votre réservation d’un f2 pour 16 personnes pendant 10 jours” et “Vacances dernière minute à Zadar”). Comme chaque année, Titi (pour les intimes) égrène LA liste, celle qui te fait cauchemarder la nuit, toi le cinéaste en herbe qui a commencé sur Hi8 ou sur DV, toi l’étudiant en cinéma qui rêve de remercier tout le quartier quand tu recevras des mains de Meg Ryan la Palme d’or, toi l’impétrant au Cours Simon qui galère sur Stanislavsky au fond de ton obscure studette. Et ensuite, répondant aux questions des folliculaires, le délégué général se transforme en Nanni Moretti dans Habemus Papam. Arbitre de volley d’une partie entre les cardinaux européens et leurs homologues d’Océanie, il doit expliquer aux pays émergents que leur présence sera pour le prochain conclave.

En 2016, exit donc de la compétition la Chine, le Mexique, pas mal de pays du Moyen-Orient, l’Italie, etc. Nos amis réalisateurs venus de ces patries secondaires du septième art passeront leur tour, comme d’autres avant eux. A l’instar du football, la prime qualificative est donnée au pays hôte, avec entre trois et quatre films tricolores compétiteurs chaque année. Pour le reste, le cinéma maralpin concerne non des pays mais des auteurs, venus d’horizons divers, mais que l’on pourrait ranger dans la grande catégorie du “cinéasme”.

Alors le cinéasme est pratiqué par ce que l’on appelle des cinéastes. C’est un pan entier du septième art qui s’appuie sur un réseau d’environ quinze salles, dont les plus connues se situent à Sundance, Toronto, Venise, Locarno, Berlin ou Cannes. Le cinéasme ne produit pas de bouses, merdes et autres gros navets. Non, tels les grands crus classés, ils sont acquis en primeur par les gourmets des villes précitées, avant la fin de la vinification, et l’on parlera donc de millésime moins équilibré, ou de ceps victimes d’intempéries sévères. Ce petit goût de poubelle que les plus fin palais trouveront au dernier Nuri Bilge Ceylan, cette sensation de verdeur dans le magnum de Dolan ou ce piquant en bouche du nouveau von Trier ne pourront, au Jugement Dernier venu, que venir à peine écorner une œuvre “inégale mais puissante”, “irrégulière mais salvatrice”. Car, dès lors qu’on y a goûté, le cinéasme a un goût de reviens-y, le parfum vanillé du fût de chêne dans lequel on transforme des objets cinématographiques divers en films de festoche. La dégustation de cette année honorera encore des œnologues confirmés ; les taquins déploreront que ni Marvel ni DC n’aient réussi à faire projeter leurs productions sur la Croisette. Mais que ferait cette bière tiède que l’on boit sans soif à longueur d’année au milieu de la seule Foire aux vins garantie sans ivresse ?

Ne préjugeons donc pas de la qualité du Festival 2016, car avant tout palmarès, c’est le cinéasme qui sortira grandi de cette tournée des grands ducs.

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