Winter Sleep, de Nuri Bilge Ceylan

 

Scènes de la vie conjugale

Sommeil d'hiver, de Nuri Bilge CeylanN’en déplaise aux mauvaises langues, le titre n’a rien de prémonitoire : malgré ses 3h16, Winter Sleep (“Sommeil d’hiver”) est court. Court parce qu’il n’a pas moins d’ambition que celle de raconter la vie – à travers un échantillon d’êtres vivant en société au cœur d’une Anatolie magnifiée par les rudes paysages hivernaux. Aydin (Haluk Bilginer, troublant d’ambivalence) est un ancien comédien, devenu hôtelier et grand propriétaire grâce à l’héritage paternel. Il vit avec sa belle et jeune femme Nihal (formidable Melisa Sözen), et sa sœur Necla (Demet Akbag), récemment séparée. L’hiver approche et vide l’hôtel de ses derniers résidents ; seules une poignée de personnes vont continuer de se croiser dans les environs. Peu de gens, mais suffisamment pour attiser des jalousies, révéler des frustrations, de l’orgueil, de l’égoïsme ou de la peur. Winter Sleep, malgré la réputation de son réalisateur et sa longueur, n’est pas un film contemplatif ; il est d’ailleurs à bien des égards beaucoup plus rythmé que les autres films déjà visionnés en ce début de compétition du 67e Festival de Cannes. Les conversations se suivent, il y est question de philosophie (faut-il s’opposer au mal ? l’ennui est-il un luxe ?) comme de politique (Aydin tente de se justifier de sa position de notable, quand d’autres sont dans l’incapacité de payer leur loyer) ou de morale (Nihal, victime à double titre de sa droiture). Sans superflu, sans artifices, avec beaucoup d’humour, Nuri Bilge Ceylan amène le spectateur à s’interroger sur le rapport aux autres et sur la difficulté de se comprendre – entre frère et sœur, mari et femme, amis ou voisins. Le cinéaste réalise un film réjouissant, qui n’est pas sans rappeler les œuvres d’Ingmar Bergman ni celles de William Shakespeare (le lieu où défilent les personnages s’appelle l’hôtel Othello). Assurément le chef-d’œuvre qu’on attendait depuis longtemps de la part du cinéaste turc.

 
Winter Sleep (Kış Uykusu) de Nuri Bilge Ceylan, avec Haluk Bilginer, Melisa Sözen, Demet Akbağ… Turquie, 2013. Palme d’or du 67e Festival de Cannes. Sortie le 6 août 2014.