La Vénus à la fourrure, de Roman Polanski

 

La Vénus à la fourrure, de Roman PolanskiQuel superbe numéro nous a joué là Roman Polanski avec La Vénus à la fourrure ! Polanski qui poursuit donc sa variation cinématographique autour du huis clos. A quatre dans un appartement (Carnage), à trois sur un bateau (Le Couteau dans l’eau, son premier film) et désormais à deux dans un théâtre. Le septième art adaptant et filmant le sixième. Drôle de façon pour Polanski de boucler la boucle, lui qui a commencé par fouler les planches avant d’empoigner la caméra.

La Vénus à la fourrure, c’est ce troublant face-à-face adapté d’une pièce de David Ives, elle-même inspirée du roman éponyme du sulfureux Leopold von Sacher-Masoch, celui qui – à son corps défendant – a donné son nom au “masochisme”. Un jour d’orage, Vanda, une femme impétueuse, jaillit telle une tornade dans un théâtre parisien. Dans la salle, au téléphone, Thomas maugrée, désespéré de ne pas trouver son actrice pour incarner le rôle principal de la pièce qu’il s’apprête à mettre en scène… La Vénus à la fourrure. Et ce n’est certainement pas cette femme qui le sortira de la panade. Elle est en retard, mouillée jusqu’aux os, le rimmel dégoulinant. Elle est vulgaire, jure comme une charretière. Obstinée, la dénommée Vanda s’efforce malgré tout de convaincre Thomas qu’elle est faite pour le rôle. La prenant d’abord du haut de son statut d’auteur pédant, il finit par accepter de l’auditionner. La chrysalide se fait alors papillon. Captivé, Thomas se laisse charmer peu à peu par cette femme étonnante. Elle connaît son texte sur le bout des doigts, didascalies comprises. Et semble totalement imprégnée de la psychologie de son personnage. L’audition vire au filage complet, en même temps que s’installe un jeu de répulsion-séduction qui tournera à l’obsession.

Avec La Vénus à la fourrure, Roman Polanski, homme de théâtre et cinéaste, a donc trouvé dans ce livre de Sacher-Masoch un formidable terrain de jeu pour laisser libre cours à ses marottes artistiques. Le huis clos, la folie, l’aliénation, l’asservissement, le travestissement, l’érotisme… Au détour d’un accessoire ou d’un costume, resurgissent ici et là les vieux fantômes de la filmographie du cinéaste. Une robe d’époque, une veste en velours vert, un couteau, un homme travesti en femme et ce sont Tess, Le Bal des vampires, Rosemary’s Baby et Le Locataire qui s’invitent sur la scène. Polanski pousse l’autodérision jusque dans sa distribution en plaçant devant sa caméra sa propre femme, Emmanuelle Seigner, et un Mathieu Amalric dont la ressemblance physique avec le cinéaste est frappante.

Sans arrêt sur le fil, les deux comédiens délivrent un formidable numéro d’équilibristes, passant d’un registre à un autre, d’une émotion à une autre, changeant de tons, de tenues, d’accents, d’attitudes. Elle est extravagante, insolente, excessivement sensuelle, érotique, fantasque, fatale. Il est prétentieux, aigri, engoncé dans son quotidien petit-bourgeois, soudain bousculé et contraint par cette femme à accepter de perdre pied. A travers le prisme de ce duo-duel d’acteurs absolument époustouflant, Roman Polanski nous plonge dans une fantastique mise en abyme de la création. Epluche avec ironie les travers pervers que prend parfois le rapport du metteur en scène à son actrice. Dans un jeu de miroirs vertigineux, il brouille les frontières entre réel et fiction, soumis et dominant, homme et femme. Et le spectateur de s’enfoncer chaque fois un peu plus dans la fantaisie et l’imaginaire, jusqu’au point d’orgue final.

La Vénus à la fourrure est une réflexion brillante sur le travail de mise en scène, d’interprétation d’un personnage, d’une époque, d’un auteur et de son texte… Sur tout ce qui participe à nourrir l’illusion du monde du théâtre et du cinéma. Un pamphlet féministe plein d’esprit et de malice.

 
La Vénus à la fourrure de Roman Polanski, avec Emmanuelle Seigner, Mathieu Amalric. France, 2013. Présenté en compétition du 66e Festival de Cannes. Sortie le 13 novembre 2013.

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