La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino

 

La Grande Bellezza, de Paolo SorrentinoSur les hauteurs du Janicule, à Rome, s’élève le chant d’une chorale de jeunes femmes pendant que des touristes japonais écoutent religieusement leur guide. L’un d’eux s’approche doucement d’un promontoire d’où la Cité éternelle dévoile certains de ses plus beaux atours. L’œil dans le viseur de son appareil photo, il en dérobe quelques clichés. Soudain, il s’écroule. Comme foudroyé devant tant de beauté…

La Grande Bellezza, c’est elle bien sûr. Rome ! Ville fantasque par excellence. Ville de contradictions. A la fois sacrée et profane, grande et décadente, belle et féroce. Une ville capable d’inspirer les plus belles merveilles comme de céder aux plus basses frivolités. Après son aventure américaine et son road-movie gothico-tragicomique This Must be the Place, Paolo Sorrentino a souhaité répondre à cette nécessité pressante de retourner sur les terres de la ville aux sept collines. Un retour aux sources qui prend la forme d’une mise à nue intégrale de la part du Napolitain et qui ne pouvait se faire sans son fidèle ami et partenaire de cinéma, le comédien Toni Servillo.

Servillo est Jep Gambardella, 65 ans. Auteur dans sa jeunesse d’un roman intitulé L’Appareil humain, il n’a plus rien écrit depuis. Il est devenu un très grand journaliste qui fréquente les hautes sphères de la société romaine. Sa vie est une succession de rendez-vous et de fêtes excentriques qu’il organise sur la terrasse de son appartement, avec vue imprenable sur le Colisée. Cynique, profondément désabusé, Jep assiste à la crise d’une société qui semble avoir transformé les hommes en bêtes de foire. Seul le souvenir nostalgique de l’amour innocent de sa jeunesse semble capable de le sortir de sa résignation et lui redonner le goût de la création.

Complice, l’acteur se livre sans filet à la caméra de son réalisateur. Comme Mastroianni, Servillo observe. Et comme Fellini, Sorrentino décortique, nous plongeant au cœur d’un tourbillon de mondanités où hommes et femmes s’adonnent à une débauche dégoulinante d’ego. Un Fellini et une Dolce Vita dont les ombres planent ouvertement tout au long du film à travers un fourmillement de personnages extravagants, des orgies démesurées et une galerie de portraits de vies dévastées. Entre vieux-beaux libidineux et névrotiques botoxées se complaisant dans un libertinage de façade. Le cinéaste dresse le portrait d’une société stupide et grossière, irrévérencieuse et désinvolte, enrayant toute perspective de plaisir ou de création. A ces bouffonneries nocturnes, Sorrentino oppose les splendeurs de la ville. On se retrouve ainsi à marcher dans les pas d’un mystérieux personnage boiteux, discret gardien des clefs des plus beaux palais de la cité – l’occasion d’une séquence étourdissante. Et c’est dans cette dichotomie, entre vacuité et richesse, que vient s’exprimer tout le désespoir de Jep, se demandant bien comment on a pu en arriver là. Quelque part proche du néant.

La Grande Bellezza, de Paolo SorrentinoCette Grande Bellezza est un film-somme d’une incroyable densité, portant l’empreinte des plus grands auteurs du cinéma italien. Fellini, on l’a dit, mais aussi Escola ou Ferreri. On y retrouve cette ironie grinçante, ce goût pour l’étrange et le mystère, cette mélancolie enivrante, cette poésie baroque. A travers l’errance de Jep, cet homme en bout de course incapable de voir la grande beauté de ce monde rongé par la mesquinerie et la vulgarité, Paolo Sorrentino s’interroge sur des thèmes aussi vastes que celui du processus créatif ou, plus encore, sur ce long voyage de la vie, de la naissance à la mort.

“Ca finit toujours comme ça, avec la mort”, conclut Jep. “Mais avant il y a la vie, recouverte par tout un tas de blabla…”

 
La Grande Bellezza de Paolo Sorrentino, avec Toni Servillo, Sabrina Ferilli, Carlo Verdone… Italie, 2013. Sortie le 22 mai 2013. Présenté en compétition du 66e Festival de Cannes.

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