Borgman, de Alex Van Warmerdam

 

Borgman, d'Alex van WarmerdamChez lui, un homme prend son ceinturon. Vérifie que son chargeur de revolver est bien rempli, avant de sortir. Il passe prendre un type occupé à aiguiser avec soin la pointe d’une longue pique. Un prêtre communie avant de troquer sa chasuble contre un fusil de chasse et rejoindre les deux autres larrons… Le nouveau film d’Alex van Warmerdam s’ouvre sur l’étrange prise d’armes de ce trio improbable et nous invite à les suivre dans une chasse tout aussi saugrenue : arracher des hommes à leurs habitations souterraines, au cœur de la forêt. Parmi eux, un certain Borgman. Camiel Borgman. L’allure vagabonde, le visage émacié, la barbe et les cheveux hirsutes. Un marginal, sans doute. Un de ces inadaptés dont les honnêtes citoyens du coin préfèrent se préserver, barricadés derrière les murs de leurs maisons. L’homme mystérieux parvient malgré tout à trouver refuge au sein d’une de ces respectables familles bourgeoises. Il y a Marina, Richard, leurs trois enfants et la nounou. Ils ne le savent pas encore – nous non plus d’ailleurs – mais le Mal, ou quelque chose de ce genre, vient de prendre résidence chez eux. Désormais, Borgman peut jouer. Il est en mission. Et c’est avec un malin plaisir qu’il s’amusera à faire voler en éclats l’apparente respectabilité de ce couple. Patiemment, méthodiquement, irrésistiblement.

A mi-chemin ente le thriller, la fable fantastique et la comédie burlesque, Borgman reste dans la veine du cinéma sarcastique et grinçant du réalisateur des Habitants et de La robe, et l’effet qu’elle produit sur les femmes qui la portent et les hommes qui la regardent. A ceci près qu’il a choisi de donner à cet opus une teinte bien plus sombre. Variation libre et personnelle sur la “banalité du mal”, ce Borgman se révèle comme une exploration audacieuse des peurs et des angoisses de la société occidentale. Une dénonciation des nouvelles formes d’aliénations modernes. La crainte de l’autre, le repli sur soi, le racisme, l’ambition… Le film fourmille de trouvailles visuelles et scénaristiques, entre l’inconvenance d’un C’est arrivé près de chez vous et la brutalité frontale d’un Funny Games. Van Warmerdam amorce une multitude de réflexions. Politique, social, économique, religieuse, mythologique. Autant de portes entrouvertes mais dont le cinéaste n’a malheureusement pas su dépasser le seuil. En dépit d’une première demi-heure délicieusement effrontée, le récit finit par s’essouffler et s’enliser dans une progression bien trop linéaire. Les pitreries meurtrières ne suffisent plus et Borgman ne cesse finalement jamais de commencer, encore et encore. Audacieux dans la forme et dans le ton, donc, mais bien trop frileux sur le fond. D’autres sont passés avant, à l’image d’un Michael Haneke ou d’un Bruno Dumont avec Hors Satan – pour un résultat bien plus convaincant.

 
Borgman d’Alex van Warmerdam, avec Jan Bijvoet, Hadewych Minis, Jeroen Perceval… Pays-Bas, 2013. Sortie le 20 novembre 2013. Présenté en compétition du 66e Festival de Cannes.

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