Une petite histoire d’effets spéciaux

 

Visite de l’Atelier 69

 
Bienvenue à l'Atelier 6969 rue Victor Hugo, Montreuil. D’extérieur, rien de particulier : une porte, quelques noms sur l’interphone, et cette inscription intrigante : CLSFX / Atelier 69. On pousse la porte, on grimpe au premier étage, et on sonne. L’intérieur de l’Atelier 69, c’est comme la caverne d’Ali Baba ou l’une de ces portes de placards de cinéma qui ouvrent sur un monde mystérieux. Guillaume Castagne et Frédéric Laine (Les C et L de CLSFX), rejoints en 2004 par Olivier Afonso, sont les créateurs du lieu, studio de maquillage responsable des effets spéciaux de quelques fleurons du film de genre en France : les zombies de La Horde, les corps meurtris de Frontières et de La Meute, ceux fantomatiques de Livide ou ensanglantés de Mutants sont tous signés par l’Atelier 69. Comme les effets de maquillage de Rapt, des Beaux Gosses ou de La Vérité si je mens 3.
Ce jour-là, une dizaine de personnes s’activent à l’Atelier 69. Bruits de perceuse, de scieuse, odeurs de peinture et de colle : s’il n’y avait pas toutes ces prothèses, ces membres en résine et ces objets de cinéma, on se croirait chez Monsieur Bricolage. Excités comme des gamins abandonnés dans une usine de jouets après la fermeture ou des étudiants anglais au CERN, on en profite pour passer dans les rangs, déranger sans honte toute l’équipe et demander à chacun ce qu’il fabrique – au sens propre du terme. Entre un Jean Dujardin qui a pris un coup de vieux, une tête qui le vaut bien et d’impressionnants projets secrets (« Ca, c’est pour le premier film de Grégory Levasseur, mais attention, vous ne pouvez pas le photographier tant que le film n’est pas sorti ! »), on découvre un métier minutieux et fascinant. Visite guidée en compagnie d’Olivier, Frédéric, Guillaume, Nico, Pi, Laëtitia, Pascal et Pierre.

 
Affiches des films de l'Atelier 69« Avant un tournage, on a le scénario entre les mains. On le lit, et on fait un dépouillement, c’est-à-dire qu’on souligne tout ce qui nous semble faire appel à des effets spéciaux. Ensuite on vérifie avec la production ce qui doit être fait, et de quelle manière : doit-on voir tel effet en gros plan ? Est-ce que tel autre doit être seulement suggéré ? Après ça on établit un devis. Malheureusement, on n’a pas toujours la chance de rencontrer la production, dans ce cas on réalise le devis à l’aveuglette. Comme il y a toujours plusieurs façons de créer un effet, selon le degré de complexité et de réalisme voulus, on risque alors de proposer un devis trop cher pour le metteur en scène, qui aurait préféré un effet plus simple ! Tout dépend de l’économie du film et du réalisateur. »

 
Le vieillissement de Jean Dujardin« C’est un vieillissement de Jean Dujardin pour l’émission Le Débarquement [diffusée sur Canal Plus le 18 janvier, ndlr]. Dujardin veut avoir le nez qui tombe, un goitre, être chauve… Il se construit un personnage. C’est pour un sketch comique, ça ne doit donc pas être ultraréaliste comme dans une fiction. Allonger le nez comme je le fais là, on ne le ferait pas dans un film, c’est beaucoup trop accentué. Pendant que je sculpte le visage, quelqu’un d’autre prépare les moules. En tout, c’est environ quinze jours de travail à temps plein pour deux personnes, pour un sketch de quelques minutes… »

 
Jean Dujardin vieilli« Normalement, un tel vieillissement, ça représente quatre à cinq heures de maquillage pour le comédien. Mais là, comme c’est du direct, on ne peut pas se le permettre, Dujardin n’aura pas quatre heures devant lui. L’idée c’est donc de pouvoir poser la prothèse en deux heures environ. C’est pour ça qu’à part les lèvres et les oreilles, on va la coller en une seule partie, pour gagner du temps, mais ça impose d’utiliser des techniques particulières et plus compliquées. »

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Le silicone pour le moulage« On est en train de terminer le moule du vieillissement de Jean Dujardin : on a mis quatre couches de silicone, puis une bande plâtrée pour donner un peu d’épaisseur. Ensuite on mettra une dernière couche, on démoulera, et à l’intérieur on tirera une résine : ça donnera un matériau solide sur lequel on terminera la sculpture et on fera tous les raccords, toute la texture. Les raccords doivent se fondre, on ne doit pas les voir sur le visage, et la prothèse doit être de l’épaisseur d’un papier de cigarette. »

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Une fausse tête ultraréaliste« Il s’agit d’un projet très technique : une fausse tête complète, structure osseuse comprise. Ce n’est pas pour un film mais pour L’Oréal. La demande est de pouvoir toucher l’épaisseur de la peau et de sentir l’ossature en dessous. On va d’abord faire un premier tirage en pâte à modeler, sur lequel on va aller chercher le squelette, c’est-à-dire qu’on va enlever une couche régulière de pâte à modeler pour retrouver le squelette du visage. Il existe des cotes qui décrivent l’ossature du visage, on va donc gratter pour se retrouver au plus près de la réalité. Ensuite, on remoulera le squelette en résine, puis on coulera la peau. »

 
Une prothèse oculaire« En général, il faut compter deux ou trois jours pour créer une paire d’yeux. C’est très long parce qu’il y a beaucoup d’étapes : créer les matrices, peindre l’iris à l’aérographe et obtenir le flouté qui donne l’impression de profondeur de l’œil, remplir la pupille, réaliser une résine d’inclusion… On fait un métier d’éphémère : parfois, on va passer des mois à réaliser une créature, et elle va apparaître une minute dans le film, voire pas du tout si le plan est coupé au montage. Ca fait partie du jeu. Ce qui est plaisant, c’est tout le processus qui permet d’arriver au résultat final. Ensuite, si le réalisateur est content, que ça fonctionne à l’image, c’est satisfaisant, même si le plan n’est pas gardé. »

 
 
 
 
 
 
 
Plaies et cicatrices« Comme on manque souvent de temps sur les plateaux, on essaie de trouver des astuces : là, je crée des prothèses de plaies en croix qu’on pourra adapter à peu près sur tout le monde. A l’inverse d’un masque, on va pouvoir varier les espacements. Ce n’est pas la méthode idéale, mais c’est la technique la plus rapide à la fabrication comme à la pose, elle permet de s’adapter aux contraintes – pas seulement de temps, mais aussi de budget – des tournages. »

 
 
 
Bricolage à l'Atelier 69« Il y a un milliard de manières de faire les choses, tu dois toujours pouvoir t’adapter. Du jour au lendemain, on te dit ‘Fais ci’, et il faut du tac au tac trouver ce qui fonctionne. C’est quelque chose qu’on n’apprend pas à l’école. On doit savoir bricoler. Je parle de vrai bricolage, parce qu’à la fin tu fabriques des objets qui n’existent pas, et tu dois savoir créer à partir de tout et n’importe quoi. Tu dois connaître tous les matériaux sur le bout des doigts, connaître les temps de prise, etc. Tu dois être polyvalent, avoir un véritable panel de compétences. »

 
Un travail minutieux« J’ai fait l’école des beaux-arts de Lyon ; à la fin, je faisais beaucoup de documentaires et de fiction, et plus j’en faisais, plus je devenais gourmand, plus j’avais envie de savoir faire du faux de bonne qualité. Après les Beaux-Arts, j’ai mis de l’argent de côté et je me suis payé une petite formation à Paris qui m’a donné des bases en effets spéciaux. Ensuite, j’ai bossé sur le plus de choses possibles pour m’entraîner, puis j’ai rencontré l’équipe qui s’est occupée de L’Exercice de l’Etat. Je les ai rejoints, j’ai travaillé sur la sculpture du crocodile. Ca leur a plu, c’est comme ça que j’ai commencé. »

 
Des essais de maquillage« Là, je bosse sur des babines. Je fais des essais. On va avoir énormément de gens à maquiller pour ce projet, alors j’essaie de trouver un truc qui aille sur tout le monde et qui soit rapide. On va voir si ça marche ou non, ce qu’il faut encore modifier. »

 
 
 
 
 
 
 
 
Du stock de prothèses« Les gens ont trop l’image du maquilleur en effets spéciaux qui fait joujou avec ses créatures et fait gicler le sang pour s’amuser, alors que c’est un métier sérieux qui demande de nombreuses compétences. Les trois quarts de notre travail, ce ne sont pas des membres arrachés et des têtes coupées… En France il y a très peu de films d’horreur ; depuis que l’Atelier 69 existe, on en a fait une dizaine, pour une centaine de films en tout. »

 
 
 
Une jambe pour le Quai Branly« En fait, ce qui est le plus difficile à faire, c’est ce qui est le plus réaliste : tout le monde a déjà vu un corps humain ou un cheval, par exemple, alors si on doit en reproduire un, on a intérêt à ne rien laisser au hasard, à bien se documenter avant de créer l’effet. Pourtant ce qui impressionne le plus les gens, ce sont plutôt les monstres, les blessures très gore. C’est là-dessus qu’on a le plus de liberté : on peut facilement brouiller les pistes, tricher pour les raccords puisque personne n’a de point de comparaison. »

 
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Merci à toute l’équipe de l’Atelier 69
Photos © Mathieu Menossi 2013