Apocalypse et cinéma : vive la fin du monde !

 

Un champignon atomique21/12/2012. Aujourd’hui, c’est la fin du monde. Je me suis levé tôt exprès pour profiter des dernières heures d’électricité et donner d’ultimes signes de vie virtuels, envoyés dans les limbes de l’Internet jusqu’à la coupure finale. La fin est proche, mais je me demande encore comment ça va arriver. Le cinéma m’a préparé à tout : à affronter les zombies, à mourir instantanément pour cause d’attaque nucléaire au-dessus de ma tête – ou un peu plus tard pour cause d’attaque nucléaire pas tout à fait au-dessus de ma tête – et même à combattre le Diable. C’est d’ailleurs pour ça que je ne me sépare jamais de mon couteau suisse (toujours bien l’enfoncer dans la tête des zombies), d’une boîte d’aspirine 1000 mg (le 500 est absolument inefficace contre les radiations) et de ma bouteille d’eau bénite.

Malheureusement pour moi, d’après l’article « Neuf scénarios de fin du monde » (consultable ici) publié dans le supplément Science & Techno du Monde du 15 décembre 2012, mon kit de survie risque de peu me servir. Les scénarios envisagés par les très sérieux auteurs de l’article ne font aucune mention de revenants ni d’extraterrestres belliqueux. Exit La Nuit des morts-vivants, pourtant si révélateur d’une société qui se suicide à petit feu, et adieu le Mal absolu de l’oppressant Prince des ténèbres de John Carpenter. Même le final pré-apocalyptique de Los Angeles 2013 du même Carpenter n’est pas retenu, alors qu’un arrêt pur et simple des tuyaux avait quelque chose de presque charmant.

Non, depuis l’avènement de Roland Emmerich au rang de pape du film-catastrophe global, et surtout depuis que son 2012 a remis au goût du jour Mayas, dérèglement climatique et Bugarach, tout le monde s’attend à un séisme, un tsunami ou un ouragan. Ouf, aucun de ces scénarios n’est réellement retenu dans Le Monde ; celui qui s’en rapproche le plus, c’est celui d’« éruptions en chaîne de supervolcans », provoquant, si ce n’est la fin du monde, celle de régions complètes. Ainsi, malgré l’improbable Pierce Brosnan, Le Pic de Dante tiendrait la route ?

La Route, de John HillcoatLa Route, d’ailleurs, c’est aussi le titre du film de John Hillcoat (et surtout du roman de Cormac McCarthy) ; avec son réalisme brut et ses décors glaçants, La Route semble relever du documentaire. Si rien n’est explicitement précisé, le monde post-apocalyptique décrit dans l’œuvre suggère une guerre atomique, suivie d’un redoutable « hiver nucléaire ». Car en plus de décimer immédiatement des populations entières, « les énormes quantités de particules arrachées à la Terre rempliraient l’atmosphère sur plusieurs dizaines de kilomètres de hauteur, jusqu’à causer pour longtemps au sol obscurité, froid et sécheresse. Et s’ensuivraient l’écroulement de l’agriculture et une famine de dimension planétaire », précise Etienne Dubuis, le journaliste du Monde.

Le nucléaire fait entrer l’homme dans une nouvelle ère : pour la première fois, il est capable d’anéantir sa planète. L’être humain ne doit plus forcément sa perte à la fatalité ou aux petits hommes verts, mais à lui-même. Meurtri à jamais par la bombe, le Japon a d’ailleurs très vite donné naissance au fantasme atomique, et le cinéma l’a formulé dès 1954. Dans Godzilla de Ishirō Honda, le monstre naît des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki et sème la mort autour de lui. Seul moyen de le stopper : créer une force de destruction encore supérieure. Avant que Godzilla ne devienne une série de films sans âme (tiens, dont le remake américain est signé… Roland Emmerich), il s’agit d’une redoutable métaphore de la peur atomique.

Le Monde, la chair et le diable, de Ranald MacDougallAu cinéma, la peur de l’apocalypse est souvent double : d’abord, celle de mourir ; ensuite, celle de survivre. Et de réapprendre à vivre, à se nourrir, être capable d’affronter de nouveaux dangers – ou les mêmes. Edité en DVD il y a peu, Le Monde, la chair et le diable est l’œuvre visionnaire de Ranald MacDougall. Après l’apocalypse nucléaire, trois survivants se retrouvent, et reconstruisent inconsciemment le même schéma sociétal, sans apprendre de leurs erreurs.

Le mythe du survivant abreuve largement le septième art. The Last Man on Earth, s’il n’est pas inoubliable, raconte parfaitement l’horrible et monotone quotidien de Robert Morgan, unique rescapé d’une pandémie. Le remake de ce film, Je suis une légende avec Will Smith, revient lourdement sur les événements qui ont conduit à l’extermination de l’espèce, comme pour valider avec autorité les thèses du roman de Richard Matheson. Pourtant, à en croire Le Monde, le risque d’un tel virus est quasi nul, pour des raisons aussi originales que logiques : un virus extrêmement virulent, comme Ebola, tue trop vite ses victimes pour se propager mondialement ; à l’inverse, un virus plus lent laisse suffisamment de temps aux scientifiques pour mettre au point un vaccin. Aux oubliettes les Alerte !, 28 jours plus tard, Perfect Sense et autre Contagion, pourtant si (faussement) documenté. Chouette, une fin du monde en moins.

Kirsten Dunst dans MelancholiaDe toute façon, depuis que j’ai vu l’incroyable Melancholia, je nourris le secret espoir que la fin du monde ressemble à ça. Une collision, une fin identique pour tous, calme, attendue et d’une beauté destructrice. Lars von Trier n’est pas Michael Bay et Melancholia n’est pas une débauche d’effets spéciaux, mais un étrange chef-d’œuvre qui se finit presque bien. En plus, toujours d’après « Neuf scénarios de fin du monde », celui-ci est l’un des plus sérieux (avec une probabilité estimée à 1 fois tous les 100 millions d’années). Mais la vraie fin, l’inéluctable apocalypse, le journal la dévoile : ce sera dans 4,8 milliards d’années, lorsque le Soleil, en fin de vie, gonflera et avalera la Terre. Une sorte de Sunshine inversé, en somme.

Avec toutes ces possibilités, et si je fais – heureusement ? – partie des survivants du 21 décembre 2012, je n’ai plus qu’à continuer de me préparer au mieux en regardant des films, un peu à la manière de Curtis LaForche, le héros de Take Shelter, qui se prépare au pire. Pour moi, la fin du monde, c’est chaque soir, après un épisode de Walking Dead et avant La Nuit de la comète. Je vais continuer à l’attendre tranquillement, et à me délecter de sa mécanique, qui électrise mon cinéma depuis La Fin du monde d’Abel Gance.

A demain ?

 

Les références :
La Nuit des morts-vivants, George A. Romero, 1968
Prince des ténèbres, John Carpenter, 1987
Los Angeles 2013, John Carpenter, 1996
2012, Roland Emmerich, 2009
Le Pic de Dante, Roger Donaldson, 1997
La Route, John Hillcoat, 2009
Godzilla, Ishirō Honda, 1954
Godzilla, Roland Emmerich, 1998
Le Monde, la chair et le diable, Ranald MacDougall, 1959
The Last Man on Earth, Ubaldo Ragona et Sidney Salkow, 1964
Je suis une légende, Francis Lawrence, 2007
Alerte !, Wolfgang Petersen, 1995
28 jours plus tard, Danny Boyle, 2002
Perfect Sense, David MacKenzie, 2011
Contagion, Steven Soderbergh, 2011
Melancholia, Lars von Trier, 2011
Armageddon, Michael Bay, 1998
Sunshine, Danny Boyle, 2007
Take Shelter, Jeff Nichols, 2011
Walking Dead, série créée par Frank Darabont et Robert Kirkman, 2010
La Nuit de la comète, Thom Eberhardt, 1984
La Fin du monde, Abel Gance, 1931