Rencontre avec Karim Hussain

 

Theatre Bizarre, anthologie de cinéma d'horreurTrop extrême et baroque pour nos salles de cinéma, c’est en DVD que vous pouvez découvrir The Theatre Bizarre, une anthologie horrifique qui réunit sept réalisateurs du genre. Karim Hussain, à l’origine du projet avec David Gregory, est l’un d’eux. Egalement – et avant tout – directeur photo, il a collaboré avec Nacho Cerda, Jason Eisener, Olivier Abbou ou récemment Brandon Cronenberg. Autant dire qu’en horreur, il s’y connaît. Et ça se voit dans son segment, l’obsessionnel et dérangeant Vision Stains, qui associe d’un peu trop près aiguilles et pupilles… Rencontre avec un expert ès gore romantique.

 
Avant même sa sortie, The Theatre Bizarre jouit d’une aura sulfureuse : plusieurs malaises ont eu lieu lors de projections. C’est Vision Stains qui provoque ça ?

C’est vrai que c’est toujours à ce moment-là que les malaises ont eu lieu, lors de ma séquence ou de la suivante, Sweets… La vision de l’œil percée de Vision Stains est un peu dure. Il y a eu deux malaises dans le public en Allemagne, deux à New York et un au Festival de Gérardmer. Mon but n’est pas de faire tomber les gens comme des mouches et de leur causer du tort physique, mais c’est sûr que ce sont des images assez choc. Pourtant, je voulais simplement raconter une histoire au sujet d’une artiste obsédée par les mémoires d’une autre, à la façon d’un vampire – ou d’un junkie. Je ne voulais pas réaliser intentionnellement des images déstabilisantes, mais puisqu’on a décidé de montrer des images dures, autant le faire correctement, donc de manière réaliste : on a réalisé les effets mécaniques avec de vrais prothèses, sans aucune image de synthèse. On a utilisé des têtes surdimensionnées avec des yeux en silicone et tout un système de poulies. C’était énormément plus de travail qu’en numérique.

Mais le résultat valait le coup…

Le problème du numérique, c’est qu’il n’y aurait pas eu cet aspect vraiment charnel et véridique. Je ne suis pas un grand fan des images de synthèse, alors je préfère le faire comme il faut, façon vieille école, et avoir plus d’impact. Et ca a fonctionné. Malheureusement, ça s’est souvent accompagné de gens qui tombaient dans les pommes, mais il fallait bien en passer par là !

Les obsessions du personnage de Vision Stains sont les vôtres ?

Karim HussainLes femmes et les yeux sont mes deux grandes obsessions. En fait, Vision Stains est un scénario que j’avais depuis dix ans. Je ne pensais pas à l’époque en faire un sketch inséré dans un long-métrage. Pour Theatre Bizarre, je pensais réaliser autre chose, mais finalement il s’agissait d’un projet trop cher, trop gros, et il y avait énormément de scènes de sexe, ce qui rend les choses plus compliquées : c’est toujours difficile d’avoir de bons comédiens qui vont également accepter des scènes de sexe extrêmes ! Je crois que c’est un peu plus facile de faire jouer des scènes de sexe à de bons acteurs en Europe qu’en Amérique du Nord… Bref, c’est pour cela que je suis retourné à mon vieux scénario de Vision Stains, que j’ai rapetissé et féminisé – au départ, c’était un homme qui tuait d’autres hommes, ce n’était pas très intéressant, alors qu’une femme qui tue d’autres femmes non par sadisme mais par amour, c’était plus fascinant.

Sanglant mais poétique, c’est un peu le credo de Theatre Bizarre ?

C’est tout l’intérêt de Theatre Bizarre ! On ne voulait pas seulement faire couler du sang. Le Grand-Guignol n’y occulte pas la dimension narrative, chaque segment devait comporter un scénario et des personnages soignés, et on voulait que l’ensemble forme un tout, pas simplement une suite de courts-métrages. L’une des thématiques principales du film, c’est la guerre des sexes, on trouve des femmes très fortes et des hommes plutôt mous. Il y a beaucoup d’histoires de couples dans le film. Je voulais casser cette direction avec Vision Stains, mais finalement, c’est aussi une histoire d’amour, en quelque sorte… C’est ça, Theatre Bizarre : une comédie romantique un peu extrême. Et pourtant le film est fait entièrement par des hommes ! On avait demandé à plusieurs femmes de réaliser des segments, mais aucune n’avait pu se libérer. C’est dommage, on aurait probablement eu des imaginaires encore très différents. Ce sera peut-être pour le prochain…

» Lisez la critique de The Theatre Bizarre

On va avoir droit à une suite ?

Oui, le premier épisode ayant connu un certain succès aux Etats-Unis, Theatre Bizarre 2 est déjà en préproduction. Je ne réaliserai pas de segment, parce qu’on ne voulait pas que les réalisateurs soient identiques, mais je serai chef-opérateur sur l’un des courts-métrages, puisque c’est mon métier principal.

Comment vous êtes-vous retrouvé dans cette aventure ?

J’ai rencontré David Gregory [producteur de Theatre Bizarre et également réalisateur du segment Sweets, ndlr] sur un festival, nous montrions chacun un film que nous avions réalisé. Il avait en tête de faire une version horrifique de Aria, le film à sketchs des années 1980 réalisé par Ken Russell, Nicolas Roeg, Julien Temple, Jean-Luc Godard et d’autres… Tous ces gens avaient obtenu une liberté totale à l’époque, et c’est exactement ce que nous voulions aussi sur Theatre Bizarre : faire des sketchs sans contrainte. Theatre Bizarre et Aria, c’est pareil, sauf que nous avons remplacé l’opéra par le théâtre du Grand-Guignol. C’est ainsi que nous avons créé la structure de Theatre Bizarre, ce lieu passé et surréaliste animé par le pantin d’Udo Kier. Par la suite, j’ai suggéré d’autres réalisateurs – Douglas Buck, Richard Stanley, Buddy Giovinazzo, Jeremy Kasten… Tous les amis, quoi ! Tom Savini est arrivé un peu plus tard. Comme on était tous amis, on communiquait beaucoup sur nos histoires respectives, on assistait aux montages des autres, le dialogue était très ouvert. Nous avions tous le final cut, on était donc très désireux d’écouter les idées des autres et de voir comment ça prenait forme. Le budget était serré, mais le fait d’avoir le dernier mot était très alléchant, et c’est pour ça que Theatre Bizarre était une fantastique expérience. C’est le gros problème des films américains : aux Etats-Unis les réalisateurs n’ont pas le final cut, énormément de films sont détruits au montage…

Cette liberté existe parce qu’il s’agit d’une anthologie ?

Vision Stains, de Karim HussainOui. Aux Etats-Unis, je ne crois pas qu’un réalisateur pourrait avoir cette liberté. Sauf s’il paie tout lui-même ! C’est peut-être pour cela qu’on assiste à un regain du film horrifique à sketchs en ce moment : il y a Theatre Bizarre, mais aussi Little Deaths, Chillerama, V/H/S (qui a fait un tabac à Sundance et a été acheté par Magnolia), et enfin The ABCs of Death, fait par 26 réalisateurs différents. J’ai d’ailleurs participé à ce dernier comme chef-opérateur, sur le segment de Jason Eisener, avec qui j’avais déjà fait Hobo with a Shotgun.

Vous privilégiez toujours le métier de directeur photo ?

Oui ! Je ne suis pas ce genre de chef-opérateur qui rêve secrètement de réaliser des films. J’ai appris à réaliser, et ça me plaît, mais je suis bien plus heureux en effectuant mon métier de chef-op et en travaillant avec des metteurs en scène que j’apprécie. En revanche, si un nouveau projet de réalisation me tient particulièrement à cœur, je le ferai volontiers…
 

Theatre Bizarre de David Gregory, Richard Stanley, Buddy Giovinazzo, Douglas Buck, Tom Savini, Karim Hussain et Jeremy Kasten. Canada, Etats-Unis, France, 2011. En DVD le 3 octobre 2012.