Un peu de philo, beaucoup de ciné avec Sébastien Charbonnier

 

Sébastien CharbonnierProfesseur et chercheur en philosophie et en sciences de l’éducation, Sébastien Charbonnier a déjà signé plusieurs ouvrages. Le premier publié en 2009, Deleuze pédagogue, s’intéressait au souci pédagogique qui traversait l’œuvre du philosophe. En 2013, il publie Que peut la philosophie ?, aux éditions du Seuil. L’occasion de s’interroger après plus d’un siècle d’enseignement obligatoire de la philosophie, sur la formation de l’esprit critique. Bref, à quelques jours du bac philo, Sébastien Charbonnier s’imposait comme le candidat idéal pour une petite balade cinéphile…

 
Le premier film vu ?

Impossible de s’en souvenir : trop de films passés par-là depuis… Le recouvrement a rendu l’origine inatteignable. Et c’est sans doute tant mieux !

Par quel genre de films a été bercée votre adolescence ? Que recherchiez-vous ?

Les documentaires animaliers, qui expriment la quintessence de ce grand genre cinématographique qu’est le documentaire. Il y avait une avidité de découvrir la nature, le monde, sous ses formes les plus étrangères à ce que je voyais se dérouler autour de moi (vie d’un Occidental adolescent). C’est en plus un bon moyen de sublimer la misanthropie qui peut exister à cette période de la vie.

Y a-t-il un film qui vous ait fait grandir d’un coup ?

Barry LyndonBarry Lyndon : un film de récit d’apprentissage, avec une échelle temporelle qui fait prendre conscience du temps long de la vie. Quand on est jeune et insouciant, ça sort brutalement du présentisme de ses petites préoccupations – dans lequel la société voudrait nous acculer – pour forcer à penser le sens d’une vie et des choix qu’on y fait.

Le premier film qui fait rire aux larmes ? De quoi s’agissait-il ? Pourquoi ?

J’ai un peu honte, mais c’est Le Dîner de cons. Sans doute parce que c’est un des premiers films comiques que j’ai vu au cinéma (je me contentais de la télévision habituellement pour ce genre de film)… J’ai été emporté par une salle hilare et j’ai compris ce jour-là l’importance de l’infra-communication entre spectateurs dans une salle obscure : expérience renouvelée plus tard, de manière presque scientifique avec Shrek 2 en VO dans une salle explosive (un moment d’anthologie), puis à 11h du matin en VF avec que des petits (un sentiment de solitude et d’ennui : aucune connivence dans les moments perçus comme drôles).

Y a-t-il eu un film interdit que vous avez essayé de vous procurer par tous les moyens ?

Fanny et AlexandreFanny & Alexandre : le seul film de Bergman non réédité en France… Impossible à trouver, alors que je lisais partout que c’était un pur chef-d’œuvre. Donc un interdit lié à des raisons commerciales… Ce sont les pires, celles-là : elles font tomber objectivement un film dans le néant. Un ancien prof a fini par me passer une VHS d’un enregistrement qu’il avait fait lorsque le film était passé il y a fort longtemps sur la télé française. Heureusement, il y a Internet depuis ! Mais aucune version originale sous-titrée en français n’existe.

Un film dont vous ne vous êtes pas remis ? Pourquoi ?

Flandres : le réalisme à l’état pur au service de l’absurde et de l’injustice. Le réalisateur arrive à montrer avec un art inouï comment les humains se font du mal par pure incompréhension et faiblesse : c’est toujours quand on est faible ou qu’on souffre que l’on est méchant ou injuste. Et quand on voit des gens qui se font du mal entre « perdus de la vie » parce qu’ils ont peur, c’est terrible…

Un film que vous aimez en secret, dont vous avez un peu honte quand même ?

Alice au pays des merveilles, version Disney. J’adore cette adaptation, même si on perd énormément par rapport à l’œuvre de Lewis Carroll… Je décomplexe complètement face à des scènes que je vénère alors que mon surmoi me dit : « Ca va, ce n’est pas non plus ce que le septième art a fait de mieux…. » Mais je m’en fous.

Le film le plus nietzschéen selon vous ?

Oslo 31 aoûtOslo 31 août : un de ces films rares et précieux où le réalisateur arrive à nous faire ressentir des choses chargées de bien et de mal sans jamais créer en nous la volonté de juger. C’est très beau : une empathie dénuée de jugement. Et puis il y a une réplique sublime lorsque le personnage principal dit son désarroi face à ses deux parents qui s’aimaient magnifiquement, mais dont il n’a jamais compris comment ils faisaient (renversant le topos de l’enfant malheureux parce que ses parents l’étaient également, se déchiraient, etc.).

Si Platon avait réalisé un film ?

M. Smith au Sénat de Capra : le meilleur dirigeant politique est celui qui ne veut pas l’être. « Vouloir le pouvoir » est déjà l’indice qu’on sera un mauvais politicien. Et en même temps, faire une critique féroce de la démocratie, de toutes ses dérives possibles : Platon aurait beaucoup aimé le scénario. En revanche, en vrai pessimiste (Socrate meurt condamné par la démocratie athénienne), il y aurait eu une version « director’s cut » avec une fin alternative, moins « happy »…

Un film qui développerait le sens critique ?

Johan Van Der KeukenLes bons documentaires : c’est une connexion sur le réel, mais en même temps c’est déjà un point de vue (car il n’existe pas de point de vue « brut » : tout regard est déjà une construction du réel). Bref, rien de tel que du Van der Keuken, du Wiseman ou du Depardon pour développer son sens critique et aiguiser son regard – le sens critique commençant par l’apprentissage de la perception.

Il ne reste plus que quelques jours à un élève pour réviser le bac philo. Quels films lui conseillez-vous pour réviser quels concepts ?

Non pas réviser tel ou tel concept, mais se préparer mentalement. Donc je proposerais un film qui le fasse relativiser sur son « petit » drame personnel. Bref, un film humaniste et dur en même temps, qui lui permette de percevoir le caractère raisonnablement banal de ce qu’il s’apprête à vivre (au regard des vrais enjeux de la vie). La ligne rouge, ce serait très bien.

Votre plus grande frayeur au cinéma ?

L’Exorciste, que j’ai vu pour la première fois lors de sa sortie en version longue dans une salle obscure.

Quels sont les héros de cinéma qui vous ont interpellé ? Pourquoi ?

James BondJames Bond : toujours propre sur lui, il ne pisse et ne chie jamais ; il a toujours la classe et l’art de croiser des super jolies filles. Comment fait-il ? C’est un très bon moyen de comprendre le caractère démiurgique de la fiction : on y fait ce qu’on veut.

Y a-t-il un film dont vous auriez aimé écrire le scénario ? Si oui, lequel ? Pourquoi ?

Sérénade à trois de Lubitsch : parce que c’est d’une liberté, d’une allégresse folle. Il brise des tabous, mais le fait avec une telle verve et une telle insouciance (sans cette pompe de ceux qui sont persuadés d’être des avant-gardes éclairées) que ça devient un chef-d’œuvre de film moral et comique.

Le film le plus chaud, érotique, sensuel ?

Les trois adjectifs sont assez différents… Pour le côté chaleur et sensualité, certains films de Tran Anh Hung dégagent une atmosphère qui mérite amplement ces adjectifs.

L’actrice avec laquelle vous auriez aimé dîner ? Pourquoi ? De quoi auriez-vous parlé ?

Félix le chatJe ne suis pas sûr de vouloir dîner avec une actrice dont j’ai vu des films. Si j’apprécie ses rôles, je risque d’être intimidé (le cinéma crée des icônes et nous sommes tous victimes de cela, même si ce sont des êtres humains qui en sont les supports vivants). Je préférerais discuter avec une actrice débutante, dont je n’ai peut-être vu aucun film, qui soit passionnée et pleine de désir. Là, je crois qu’on pourrait parler cinéma, métier d’acteur… et passer une belle soirée.

Un film que vous gardez précieusement en VHS ?

Des vieux Felix le chat originaux. A l’époque, il avait été très dur de se les procurer… Maintenant, on trouve sur Youtube tout cela assez facilement…

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