Souvenirs de toiles de Sage

 

SageEx-leader du groupe Revolver, Ambroise Willaume, alias Sage, sort son premier album solo éponyme, après un EP très réussi, In Between, où flottent des images cinématographiques entre spleen et apaisement. Rencontre avec un artiste touche-à-tout aux goûts ciné pas toujours très… sages !

 
Premier souvenir de cinéma ?

Je crois que c’est Jurassic Park. J’avais huit ans et j’étais fan de dinosaures à l’époque. C’est sans doute le film le plus extraordinaire que je pouvais voir alors ! C’est la première fois que je suis allé au cinéma et la première cassette vidéo que je me suis acheté avec mon argent de poche. J’avais dû économiser plusieurs mois pour me l’offrir, car ça coûtait 200 francs !

Le film qui a bercé votre enfance ?

C’est le tout premier film que j’ai vu, à la télé, Brisby et le Secret de Nimh [de Don Bluth, ndlr]. Je le trouvais super beau, mais aussi très dur et triste. Mais sinon, un de mes films préférés reste Edward aux mains d’argent. La musique est magnifique et j’aime la dichotomie entre le côté sombre et fragile de Johnny Depp et du château et l’univers très coloré, cartoonesque et parfait de la petite ville. Winona Ryder y est un idéal féminin absolu.

Un acteur – ou une actrice – disparu avec qui vous aimeriez dîner ?

Une actrice ! Marilyn Monroe, puisqu’on est dans l’ordre de l’impossible. C’est un personnage hyper-complexe dans son ultra-superficialité. Quelqu’un qu’on a envie d’aimer énormément, même cinquante ans après sa mort. Elle dégage une fragilité et un paradoxe touchants. C’était une icône tellement extraordinaire !

Premières larmes devant un film ?

Forrest Gump. C’est un film que j’ai vu jeune, le premier pas complètement pour enfants que j’ai vu, même si c’est grand public. Il y a un côté épopée de vie assez incroyable. J’avais du coup l’impression d’avoir accès à plein de facettes de la vie que je n’avais jamais pu voir auparavant, soit au cinéma, soit dans la vraie vie, avec plein d’émotions que je n’étais pas forcément prêt à recevoir. C’est un souvenir vraiment marquant. Mais je l’ai revu récemment et j’étais un peu déçu.

Derniers fous rires au cinéma ?

Je crois que c’est Légendes vivantes 2, que j’ai trouvé très drôle. Je suis client de la plupart des films avec Will Ferrell. C’est un type d’humour différent de ce que l’on connaît en France, mais une fois qu’on a adopté ce langage-là, ça devient très addictif.

Le film le plus effrayant ?

Take shelter de Mike Nichols, car il y a une atmosphère très pesante. Sinon, Shining, évidemment.

Le film le plus érotique ?

SageCa fait bien longtemps que je n’ai pas vu une scène érotique intéressante au cinéma ! Je vais alors citer Mulholland Drive car j’ai vu ce film à un âge où je n’avais jamais vu de scènes lesbiennes et j’avais trouvé que c’était une bonne idée !

Un film culte que vous gardez précieusement ?

Edward aux mains d’argent ou The Hook. J’adore les films des années 1990, époque où j’allais au cinéma et il y avait alors une vraie dimension magique. Mon imaginaire était réceptif au cinéma, pour m’en imprégner, car je ne faisais pas encore de musique. Depuis que je compose, le cinéma a plus une dimension de détente que réellement artistique, même si je peux apprécier un bon film. Je vois surtout des blockbusters, comme Les Gardiens de la galaxie. C’est un sujet de débat fréquent avec ma copine…

La BO qui vous a le plus marqué ?
There Will be Blood.

Qui mettriez-vous dans votre Panthéon du cinéma ?

Spielberg, car il a réalisé un bon paquet de films qui m’ont marqué. Il y aurait aussi Danny Elfman pour la musique et j’hésite entre Brad Pitt et Leonardo DiCaprio. Allez, une petite préférence pour Brad Pitt que je trouve plus simple, il me fait plus rire. DiCaprio peut avoir tendance à me fatiguer.

Vous avez composé avec le groupe Revolver la BO du film Comme des frères. Que gardez-vous de cette expérience ?

C’était assez particulier car c’était la première fois qu’on faisait ça. On avait rencontré Hugo Gélin, le réalisateur, avant même qu’il ne tourne ses images. On s’était donc projeté sur sa première intention de départ, ce qui était plutôt intéressant. Il avait flashé sur un de nos morceaux sorti sur un EP à l’époque, Parallel Lives et il avait construit tout l’imaginaire de la BO de son film à partir de ce titre. L’exercice était alors de faire comme une sorte d’album qui partirait de cette chanson-là. On venait de finir notre deuxième opus et c’était comme si on faisait un album alternatif, car il y avait beaucoup de chansons à écrire. Une très bonne expérience. J’aimerais beaucoup le retenter. C’est une façon de composer qui est très différente, car la musique n’a pas besoin d’être signifiante, elle peut juste être un jeu d’atmosphère, avec des structures étirées. Ce ne sont pas les mêmes codes et formats qu’en chanson. C’est aussi l’occasion d’expérimenter énormément. J’en ai beaucoup discuté avec Rob qui compose pour des films des musiques complètement folles, avec des expérimentations hyper-osées, car il y a une écoute différente au cinéma, presque subliminale.

Un type de films pour lequel vous pourriez composer ?

J’adore les BO de Jonny Greenwood, le guitariste de Radiohead. A chaque fois, il invente un nouveau style de musique de film. J’aimerais essayer de développer ce genre-là, pas faire quelque chose à la John Williams, même si j’en suis un grand fan. J’aimerais écrire quelque chose qui soit à la fois posé et en décalage avec le style de film, ce que je ne peux pas me permettre en chanson. J’aime quand la musique détonne par rapport aux images.

Il y a une cohérence entre la musique que vous proposez et l’univers visuel qu’il y a autour…

J’ai l’impression en effet que ma musique a une dimension très visuelle, mais c’est involontaire. Je ne me figure pas, quand j’écris, quelque chose de visuel. J’ai l’impression qu’il y a des éléments cinématographiques qui se dégagent, mais je ne pars pas d’images pour écrire ma musique. Je pars de la musique en elle-même, de notes, de sons, je me laisse complètement errer par la musique. Si je devais aborder la musique de manière visuelle, ce serait des images très abstraites, des formes, des couleurs, des atmosphères, des constructions géométriques. Pour moi, le clip est un travail à part, une interprétation de ma musique. Je trouve ça intéressant qu’un réalisateur puisse lui apporter quelque chose en plus.

Justement, votre premier clip, In Between, est très abstrait et géométrique…

Oui, ce fut une rencontre incroyable avec Ismaël Moumin, le réalisateur, également photographe de la pochette de mon EP. La veille de rentrer en studio pour le tournage, il voulait qu’on parle du thème de la chanson, de ce que ça voulait dire pour moi. Et en fait, il avait écrit des semaines auparavant, sans qu’on ne se consulte, des métaphores très précises du texte. Il avait réussi à le traduire visuellement et c’était étonnant de précision et de justesse.

Vous évoluez désormais en solo. Une manière de travailler identique, différente ?

SageC’est différent, car être seul est à la fois plus facile et difficile. Plus facile car on va plus vite, il n’y a pas besoin de défendre ses idées, de convaincre d’autres personnes, on peut aller là où on le souhaite. Le plus ardu, c’est qu’on est seul à pouvoir le faire, il faut donc avoir beaucoup d’énergie et de motivation. C’est un métier incroyable, mais très dur. L’avantage du groupe est de pouvoir se soutenir. Mais pour cet album, j’ai beaucoup travaillé avec Benjamin Lebeau du groupe The Shoes qui l’a réalisé et ce qui était agréable, c’est qu’il était au service de ma musique et s’appropriait le projet. Il y avait une logique dans notre façon de fonctionner qui était plus simple que dans un groupe. C’était à moi d’avoir le dernier mot et dans un groupe, c’est dur de trouver le compromis en permanence. Etre seul permet d’aller plus loin artistiquement.

Qu’en pensent alors vos anciens acolytes de Revolver ?

Ils ont écouté. On est resté très proches. Le groupe s’est arrêté, mais ça ne veut pas dire qu’on ne travaillera plus jamais ensemble. On est redevenus meilleurs amis car à la fin du groupe, on en avait marre des uns des autres après cinq ans à vivre toujours ensemble. On a sauvé notre amitié en mettant un terme à cette aventure.