En cloque mode d’emploi : Rencontre avec Nathan Silver

 

Affiche de Uncertain Terms de Nathan SilverIl est étrangement bien mené, le film de Nathan Silver. Son histoire de foyer – presque coupé du monde – qui accueille et cocoone des jeunes filles enceintes tient franchement bien la route. C’est dans ce refuge où les belles se promènent pieds nus avant de s’étendre sur l’herbe humide que Robbie, 30 ans, va lui aussi venir chercher asile, alors qu’il vient d’apprendre que sa femme l’a trompé. L’occasion pour Silver de développer un huis clos ambigu, à la fois chaleureux et oppressant. De capturer un moment incertain…

 
“Uncertain Terms” ?

J’ai noté un jour cette expression “uncertain terms”, et ça m’a semblé bien. On cherchait un titre, je l’ai testé auprès de plusieurs personnes, et tout à coup, ça a fait tilt. Ca correspondait au côté ambigu, incertain, très “sables mouvants” du film. Au fait aussi, évidemment, que toutes les filles sont enceintes.

D’où vient cette histoire de foyer pour jeunes filles-mères ?

Ma mère a connu cela. Elle a eu mon frère à 16 ans. Elle en avait donc 15 quand elle est tombée enceinte et a été envoyée dans un foyer pour adolescentes enceintes. C’était plutôt une sorte d’institution dans laquelle ses parents ne pouvaient venir la voir que le week-end. En contrepartie, il fallait qu’elle fasse la vaisselle et le ménage. Un endroit très triste. Tout le monde y était malheureux. J’ai entendu parler de son expérience quand j’étais enfant et j’ai toujours voulu en faire un film. Mon producteur voulait de son côté faire un film sur les adolescentes enceintes. On s’est donc demandé ce qui ce serait passé si ma mère n’avait pas détesté l’endroit qui l’avait accueilli. A quoi aurait ressemblé ce lieu où elle aurait aimé séjourner ?

Votre film est étrange : vous semblez filmer une sorte de retraite, de refuge, pourtant vous laissez une tension s’installer. Robbie entouré par toutes ces jeunes filles qui le convoitent…

Uncertain Terms de Nathan SilverJ’aime cette idée d’avoir presque fait un film de genre. Filmer ces filles dans des couloirs étroits. Elles sont là comme des loups, complètement nymphos. L’impression que si quelqu’un rentre là, il est mort. On aimait cette atmosphère un peu étrange, macabre qui se mêlait à l’histoire de ma propre mère.

Dans votre film, les jeunes filles-mères semblent avoir presque moins de soucis que votre héros Robbie, qui lui semble totalement perdu ?

Oui, tout à fait, sa vie est bien plus problématique. Elles, elles ont un avenir. Lui a l’impression qu’il n’en a pas. C’est étrange. On fait sa crise de la quarantaine avant d’avoir quarante ans, on a l’impression d’être vieux avant d’être vieux. Il en est à un moment où il a l’impression que sa vie est finie.

Les âges sont importants dans votre film. Vouliez-vous filmer le temps de la bascule ?

J’ai 31 ans et j’ai cette impression étrange que tout est limité, et qu’il y a un rideau qui me sépare des années qui restent. C’est le sentiment d’être au bord d’un précipice et de sentir qu’on tombe. Je n’ai pas encore 40 ans, mais j’ai ce sentiment d’être au bord de quelque chose. Les filles du film sont au bord d’un autre précipice, un autre marqueur de la vie, c’est le même vertige, mais elles ont un avenir. Moi, bizarrement je n’ai plus cet espoir d’un avenir.

Et l’amour dans tout ça ? Vous n’en offrez pas une vision très optimiste…

Dans le film, je laisse peu d’espoir à l’amour peut-être, même si les jeunes filles ont encore leurs illusions. Robbie lui, les a dépassées, ses illusions. Quand il rencontre Nina, il a une bouffée d’illusion. Qui disparaît dès que sa femme pointe son nez. Quand on est enfant, quand on grandit, on pense qu’on va trouver une forme d’amour qui sera bien pour soi, mais je pense que l’amour a un côté toujours très compliqué. C’est sans doute quelque chose de nécessaire dans la vie, mais je ne pense pas que ça fonctionne. Ca va forcément être un gros échec et il faut faire avec cette donnée.

Vous avez glissé une chanson de Khia, My Neck, my Back, dont les paroles sont très crues. Pourquoi ce titre ?

Uncertain Terms de Nathan SilverSur le tournage, on passait les Rolling Stones pendant les scènes de danse. Au montage, on s’est retrouvé avec cette séquence, on avait besoin d’une chanson. Et les paroles de celle-ci, c’est exactement ce qu’il nous fallait. Ca donnait un côté un peu étrange à cette scène de fête. Une couleur que je ne voulais pas donner au reste du film, mais qui là convenait parfaitement. Je voulais montrer que ces filles, bien qu’enceintes, sont toujours des ados, sexuellement parlant. Aux Etats-Unis, le sexe et le fait d’être enceinte sont totalement séparés. Voir ces ados qui sont toujours des êtres sexués bien qu’enceintes me semblait un sujet important à traiter.

Votre mère est très liée au film. Son histoire vous a inspiré, elle joue le rôle de la femme qui tient le foyer… Mélanger famille et cinéma, c’est important pour vous ?

Oui, c’est la manière dont je raconte les histoires. Je voulais prendre beaucoup de ma mère. Je l’ai forcée à venir devant la caméra. Elle participe beaucoup à la tension qui s’installe. Quand elle raconte l’histoire de l’école dans laquelle elle enseignait, avec toutes les filles regroupées autour d’elle. Elle évoque tous les problèmes qu’on peut rencontrer. Pour moi, c’est capital de travailler avec les gens que j’aime. Je veux les avoir autour de moi. J’ai beaucoup travaillé avec mon ex, avec mon meilleur ami, qui joue Robbie dans ce film. Je travaille avec les gens avec qui je m’entends bien. On est suffisamment proches pour pouvoir s’engueuler… Et puis faire un film sur une famille dysfonctionnelle avec ma propre famille, c’était plus facile !

Quels sont les films sur l’adolescence qui vous ont marqué ?

A nos amours de Maurice Pialat est l’un de mes films préférés. C’est drôle, les Français font ça mieux que tout le monde. J’aime aussi A ma sœur de Catherine Breillat ou Passe ton bac d’abord. C’est la vie qui passe à travers la caméra.

 
Uncertain Terms de et avec Nathan Silver, avec aussi David Dahlbom, India Menuez, Caitlin Mehner, Cindy Silver… Etats-Unis, 2014. Sélectionné en compétition du 40e Festival de Deauville.