Denis qui ? Denis Ménochet. Mé-no-chet. Il va falloir commencer à se rentrer ce nom dans le crâne. Une fois qu’on a croisé le regard de cette figure un peu atypique, sorte de grand ours mal léché au cœur tendre, difficile de l’oublier. C’est grâce à Tarantino, qui lui a offert la séquence d’ouverture d’Inglourious Basterds, qu’on l’a découvert. Dans ce tête-à-tête glaçant avec Christoph Waltz. Majestueux. Et cette année, à Cannes, où Grand Écart l’a rencontré, Denis Ménochet présentait deux films, Grand Central, de Rebecca Zlotowski, et Nos héros sont morts ce soir, de David Perrault, dont il tient le premier rôle en duo avec Jean-Pierre Martins. Il monte, on vous dit. Mais quand on le lui fait remarquer, l’acteur garde les pieds sur terre. Les yeux plongés dans ce café si nécessaire sur les plages cannoises à 11h du matin, il relativise : “Forcément quand il y a Ryan Gosling et Justin Timberlake sur la Croisette, on sent moins que ça bouge pour soi !” Il vit tout ça “comme une chance. Surtout que ça fait un bout de temps que j’essaie de faire ce métier. Quentin Tarantino m’a exposé et m’a ouvert des portes. Et j’essaie de transformer l’essai et d’être à la hauteur de la chance qu’il m’a donnée à l’époque. Depuis, Christoph a eu deux Oscars, donc il faut cavaler quand même !”
Des Oscars, on ne sait pas. Mais impossible de passer à côté de sa performance dans Grand Central, où, aux côtés d’Olivier Gourmet, les seconds rôles prennent leur revanche et volent la vedette au couple star Léa Seydoux-Tahar Rahim. Des seconds rôles qui rendent ses lettres de noblesse à un cinéma français qui ne se contente pas de ses têtes d’affiche bankables mais se préoccupe de construire des personnages complexes et intéressants – dans le cas présent, même plus complexes et intéressants que les premiers rôles. Un emploi auquel Denis Ménochet ne pense pas. Il nous refait l’adage (“Il n’y a pas de premiers rôles et de seconds rôles, il n’y a que des rôles”, dit-on aux César quand il s’agit de remettre le trophée). “Ma partition c’est ça, mon personnage, c’est ça, et j’y vais avec toute la force et tout mon cœur. Et du coup ça sert l’histoire, et c’est ça qui m’intéresse. Je ne me dis jamais ‘Tiens, ça va être un bon second rôle’. Je me dis ‘Ca va être une belle histoire, et je vais aider à la raconter’. Ma motivation, elle est là. Quand j’ai lu le scénario de Grand Central, je voulais vraiment en faire partie, parce qu’il y avait un truc un peu tchekovien très moderne, dans ce théâtre du nucléaire, et qu’il fallait raconter ces gens-là. Avec Olivier Gourmet, on pensait la même chose. On était tous les deux, peut-être dans un second rôle, mais pour nous c’était important de raconter ces gens. Ceux qui sont en première ligne. On était un peu les seigneurs.”
Il est comme ça, Denis Ménochet. Il enchaîne les références littéraires à la seconde (d’Oscar Wilde à Sartre en passant par Maupassant), et il utilise des expressions un peu surannées comme “les seigneurs”. C’est son côté venu d’une autre époque. Celle où les acteurs étaient physiques. “Cette époque revient, c’est peut-être un nouveau cycle. On commence à se dire que le physique, ce n’est plus de faire 1 gramme et d’avoir une mèche devant les yeux”, espère-t-il. Ce qui nous amène à l’autre film qu’il présentait cette année à Cannes – en salles le 23 octobre : Nos héros sont morts ce soir. Un hommage appuyé, en noir et blanc, au cinéma de Jean Gabin et Lino Ventura. L’alliance de la gouaille et du catch. Un rôle taillé pour lui. Grand, lourd, voire, ici, balourd. “Je voulais que ce soit quelqu’un de très gauche, gros, chiant à traîner. Un boulet, quoi”, explique Denis Ménochet pour son rôle de Victor, catcheur duettiste, ex-soldat encore fragile accroché aux basques de Simon (Jean-Pierre Martins). “Il y a Des souris et des hommes, le livre de Steinbeck, avec le personnage de Lenny, quelqu’un de très gros qui ne maîtrise pas sa force et qui se fait complètement guider par son meilleur ami, reprend Denis Ménochet. Ca me parlait par rapport au scénario de David Perrault et au personnage de Victor. Donc j’ai essayé d’être vraiment ce mec. De manger tout le temps, d’être très dépendant de Jean-Pierre pendant le tournage. Enfin c’était pas Daniel Day-Lewis, non plus !” Ce duo, sur le ring, c’est L’Equarrisseur de Belleville et Le Spectre. L’un au masque noir, l’autre au masque blanc. “Il y a une phrase d’Oscar Wilde qui disait ‘Donnez un masque à un homme et il te dira qui il est vraiment’ qui m’a beaucoup parlé au début du tournage. Ce personnage, que je voulais faire un peu pataud, un peu traumatisé, passait à quelque chose d’autre dès qu’il mettait le masque. Bizarrement, sur le tournage aussi. On pense souvent que le masque noir est le mal. Mais le blanc l’est aussi. Quand on a beaucoup de pouvoir, on peut être galvanisé par des conneries, et on s’est tous aperçus de ça pendant le film.”
Dans Grand Central comme dans Nos héros sont morts ce soir, on observe ce décalage, la rencontre de la force et de la fragilité. “Mon travail c’est de mettre de l’humanité – et quand je dis humanité, c’est un grand mot, parce que c’est pour que le public puisse sentir un truc auquel il peut s’identifier. C’est pareil dans la colère ou dans la douceur. C’est quelque chose qui parle aux gens. Ils voient ça comme de la sensibilité, mais en fait c’est la leur qu’ils reflètent.” Et c’est Mélanie Laurent, dans son film Les Adoptés, qui, la première, a filmé Denis Ménochet en homme blessé. “Avant le Tarantino, j’étais soit videur, soit flic, soit pote de videur. Et du coup, Mélanie m’a confié un rôle, pas de jeune premier mais de romantique. Le mec qui perd l’amour de sa vie. C’était un sublime cadeau qu’elle m’a fait. Du coup les gens se sont ensuite dit ‘Ah il peut faire ça, ça marche’. Et c’est le film dont on me parle le plus dans la rue. Et ça, ça fait plaisir.”
Changement de registre pour son prochain film. Denis Ménochet sera aux côtés de Dany Boon et Valérie Bonneton dans Eyjafjallojökull (le 2 octobre) un titre qu’il prononce, de manière assez impressionnante sans aucune hésitation (“Mon frère parle suédois couramment”, explique-t-il, comme si c’était logique). Il y joue “un illuminé qui a une église dans sa caravane. J’ai une barbe avec une croix, des ongles très longs, c’est très bizarre.” Une envie de ne “pas être toujours la même personne”, même si “c’est très casse-gueule”. Casse-gueule ou gueule cassée, en tout cas, elle nous revient bien, sa gueule.
Grand Central de Rebecca Zlotowski, avec Léa Seydoux, Tahar Rahim, Olivier Gourmet, Denis Ménochet… France, 2013. Présenté en sélection Un Certain Regard du 66e Festival de Cannes. Sortie le 28 août 2013.
Nos héros sont morts ce soir de David Perrault, avec Denis Ménochet, Jean-Pierre Martins, Constance Dollé… France, 2013. Présenté à la Semaine de la critique du 66 Festival de Cannes. Sortie le 23 octobre 2013.
Eyjafjallojökull de Alexandre Coffre, avec Dany Boon, Valérie Bonneton, Denis Ménochet… France, 2013. Sortie le 2 octobre 2013.