Rencontre avec Bill Nighy

 

Bill Nighy aka Billy Mack dans Love ActuallyLe monde entier l’a découvert en rocker junkie sur le retour dans Love Actually. Depuis, on l’a retrouvé dans Pirates des Caraïbes ou Good Morning England avec l’impression de le voir cantonné dans ce rôle d’élégant excentrique. Elégant, il l’est, assurément. Excentrique, c’est moins sûr. Dans Indian Palace, il est ce jeune retraité fauché, qui retrouve d’autres retraités fauchés dans ce qui devrait être le luxe indien à moindre coût. Un jeune retraité profondément gentil, un peu soumis, qui redécouvre la légèreté en compagnie de Judi Dench dans les couleurs de l’Inde. Un homme timide et attachant, comme on le voit trop peu souvent. Mais toujours élégant.

Vous êtes, dans ce film, un peu plus sobre que dans vos rôles précédents, moins excentrique. La dernière fois qu’on vous a vu comme ça, c’était dans Chronique d’un scandale. L’effet Judi Dench ?

C’est possible ! Elle fait ressortir le meilleur de moi-même. J’ai travaillé avec Judi Dench quatre fois. Il y a beaucoup de très bons acteurs et il y a une liste plus restreinte de grands acteurs. Judi Dench est de ceux-là. Quand on travaille avec eux, on élève son jeu. Concernant ce film-là, je crois que c’est ce qu’exige le rôle. Et je suis aussi intéressé par des rôles plus proches de moi et plus naturalistes. Chronique d’un scandale, comme ce film-ci me donnaient cette opportunité. Judi Dench est une femme remarquable et une artiste formidablement douée. Etre à ses côtés, la réalité du travail avec elle, c’est un autre niveau. Elle est totalement présente, elle vient sans arme, sans truc, telle qu’elle est. C’est très courageux et assez rare. Elle est avec vous. Comme si ça ne se passait qu’entre nous, comme si nous n’étions pas en public, pas devant une caméra. C’est précieux.

Vous dites vouloir vous rapprocher de rôles plus naturalistes. Vous êtes fatigué de l’image que vous avez depuis, disons, Love Actually ?

Je ne sais pas. Je ne sais pas trop quelle image j’ai. Je ne sors pas tant que ça, et c’est difficile de savoir ce que les gens pensent. Et je travaille sur des projets très différents, et certains les voient tous, certains n’en voient que certains, d’autres aucun… Mais c’est toujours la même chose. Quand on joue beaucoup de rôles « normaux », on cherche un peu d’excentricité, et puis quand on joue beaucoup de rôles excentriques, on cherche des rôles « normaux ». Dernièrement, j’ai joué un géant, dans Jack the Giant Killer, un demi-Dieu amoureux qui boite dans La Colère des Titans, beaucoup de choses différentes. Mais ce qui m’intéresse le plus ces derniers temps, c’est de jouer des choses proches de moi, drôles ou non. Des choses qui me permettent plus particulièrement – et c’est très pompeux à dire – de m’exprimer. Même si je ne suis pas sûr d’avoir des choses importantes à dire.

Vous avez le sentiment de ne pas être vous-même dans certains rôles ?

Bill Nighy dans Indian Palace de John MaddenJe suis moi-même tout le temps. Je suis juste un acteur qui va au boulot. Je ne cherche jamais à être quelqu’un d’autre. Je ne « deviens » pas un personnage. Et il y a toujours des opportunités de s’exprimer, dans toutes choses. Mais en termes de technicité, de pratique, j’aime essayer… ce qu’on appelle le naturalisme. Pour moi, c’est un travail minutieux, des détails, c’est proche du corps, c’est petit. Les effets sont légers.

Comment travaillez-vous avec votre corps, justement ? Vous êtes grand, mince, peut-être plus enclin à la comédie, c’est l’effet John Cleese…

Je n’ai pas un corps de héros… Et je suis conscient de la manière dont je bouge, ça m’intéresse d’un point de vue esthétique. J’aime assez utiliser mon corps. Et je m’excuse en disant que tout ça fait partie de ma recherche incessante de la vérité dramatique. Mais mes amis disent que je me pavane pour me faire remarquer et aimer… Alors choisissez ! Sur scène, on a l’occasion d’utiliser tout son corps et ça me plaît beaucoup. C’est moins le cas au cinéma. Il y a quelques trucs que je peux faire avec mon corps qui me font rire. Ici, je joue quelqu’un d’oppressé, par sa femme. Je trouve ça foncièrement drôle. Et l’exprimer dans mes postures, ça me fait rire. Je trouve l’idée d’être un mari oppressé très drôle. Enfin, à l’écran.

Vous parlez de théâtre, vous jouez toujours sur scène ?

Je n’ai pas joué sur scène depuis cinq ans, mais j’ai toujours fait des pièces et je continuerai. J’ai grandi dans les théâtres et je chéris ces occasions. Le truc, c’est que ça m’effraie tellement que tout doit être parfait. Et il y a peu de pièces que je veux jouer. J’ai déjà été tellement gâté, parce que j’ai travaillé avec de grands auteurs. Harold Pinter, David Hare, Tom Stoppard… Je n’aime jouer que des textes contemporains et des créations.

Pourquoi ça ?

Il y a quelque chose de tellement excitant à présenter une nouvelle pièce. Avec l’âge, il y a moins de pièces avec des premier rôles pour moi. Et je ne vais pas m’infliger toute cette peur pour un rôle qui n’est pas assez important pour la justifier. Créer une pièce, c’est terrifiant. Il faut que ça vaille le coup de travailler avec tous ceux impliqués, et il y a peu de gens à qui je sais, de façon définitive, que je peux faire confiance… Ils doivent être trois. Donc ça rétrécit un peu le champ… Et je veux que ce soit drôle. Je trouve que ce n’est pas des manières d’inviter les gens à s’asseoir dans le noir pour deux heures et demie et ne pas leur raconter une blague.

Indian Palace, en tout cas au début, parle de ce que c’est de vieillir en Grande-Bretagne, du problème des retraites…

Affiche de Indian Palace, de John MaddenEn Grande-Bretagne, le troisième âge a été privatisé, et je le regrette. Je regrette toutes les privatisations en Grande-Bretagne. Je veux le retour des trains, des télécoms, de l’eau. Je crois que l’eau vous appartient, maintenant. La France détient l’eau. Je n’ai rien contre la France, bien sûr… J’ai lu hier qu’ils pensent à vendre les routes, peut-être à des Chinois. L’eau serait française et les routes seraient chinoises. Et le troisième âge, ça peut être à n’importe qui, les Hollandais, les Allemands… Les personnes âgées doivent payer pour leur protection. Toute leur vie, ils paient des impôts. Et quand ils ont des économies, avec lesquels ils aimeraient se faire plaisir ou aider leurs petits-enfants, ils doivent payer des compagnies privées pour s’occuper d’eux quand ils ne pourront plus le faire. Ca ne me semble pas être un système sensé.

Et est-ce important pour vous qu’une comédie ne soit pas simplement une comédie mais ait des choses à dire ?

Oui, tout ce qui est réussi l’est parce qu’il a une sorte de résonance. Et l’information passe bien par l’humour. Avec de bons auteurs, on peut transmettre un message dans un ensemble attractif. Les gens l’écouteront, l’entendront. Parce que ça les fait rire, ils l’accepteront. Si on fait un film sinistre sur le troisième âge en Angleterre, personne ne va vouloir y aller. Ce film présente certains de ces problèmes d’une manière divertissante. Oui, c’est important. Je n’ai rien contre les films simplement amusants, il n’y a rien de mal. Faire un film, simplement pour faire rire les gens, c’est une tentative très honorable.

 
Bill Nighy est à l’affiche de Indian Palace de John Madden, avec aussi Judi Dench, Tom Wilkinson, Maggie Smith… Angleterre, 2011. Sortie le 9 mai 2012.