Rencontre avec Benjamin Renner

 

Les réalisateurs d'Ernest & Célestine au travailUn ours, une souris. Deux mondes distincts, une amitié (?) impossible. Et un film magnifique. Loin des blockbusters de l’animation, Ernest & Célestine est un film fin, de son trait à son esprit, où l’humour se mêle à un discours intelligent et loin d’une naïveté que l’on réserverait aux enfants. Accompagné de Vincent Patar et Stéphane Aubier, créateurs de Pic Pic et André et de Panique au village, Benjamin Renner adapte un scénario de Daniel Pennac, qui conte l’histoire de la rencontre entre Ernest et Célestine, les personnages créés par Gabrielle Vincent.

 
Vous coréalisez Ernest & Célestine avec Vincent Patar et Stéphane Aubier. Comment s’est passé le travail à trois ?

En fait, j’avais commencé à travailler sur le projet au moment où Daniel Pennac commençait à écrire le scénario. Je m’occupais du développement graphique du film, à la manière d’adapter le livre en d’animation. A côté de ça, on a fait un pilote et c’est à ce moment-là que Didier Brunner, le producteur, m’a proposé de réaliser le film. Seulement, je ne pouvais pas le faire seul. C’était un projet trop lourd pour moi qui sortais d’école. Je n’avais aucune expérience d’un long-métrage, d’une telle production, des conditions de travail. Donc j’ai demandé l’apport de Vincent et Stéphane [Patar et Aubier, ndr] qui, eux, sortaient de Panique au village et donc avaient l’expérience du long. Ne serait-ce que pour manipuler la narration sur 1h30. Quand on s’est rencontrés, on était tellement timides tous les trois qu’on osait à peine se parler. Au final, on a commencé à bosser ensemble et c’est vraiment par l’humour que ça s’est fait. On s’est rendu compte de tous nos points communs, du fait qu’on voulait la même chose pour le film. On s’est réparti les tâches sur la partie narrative et la partie artistique. Puis on a un peu mélangé tout ça, et on a fait la préproduction en commun. On écrivait l’histoire en images, et on essayait de trouver ce qui nous convenait le mieux. C’est grâce à eux aussi qu’on a pu amener une certaine fantaisie dans le film, que je n’avais pas moi-même. J’étais dans une démarche de parler de choses très tendres, de rester dans l’intérieur du personnage. Et ils m’ont beaucoup aidé à extérioriser tout ça, à rendre l’ensemble très dynamique.

Le mariage de vos univers a-t-il été facile ? L’humour de Panique au village étant beaucoup plus corrosif, y a-t-il eu une phase d’adaptation pour coller à un univers jeunesse, très différent ?

Pour eux, ce n’était pas forcément un problème. Ils ont su s’adapter immédiatement et proposer des choses qui correspondaient au film.

Graphiquement, Ernest & Célestine est très différent de ce qu’on voit en animation aujourd’hui, avec du dessin, de l’aquarelle. Vous vouliez revenir à une animation plus traditionnelle ?

Ernest & CélestineCe n’est pas vraiment une logique de retour en arrière, mais les livres pour enfants de Gabrielle Vincent avaient une telle force dans le dessin… La patte graphique, l’intention artistique nous touchaient vraiment, et on voulait absolument retrouver ça dans le film. Retrouver aussi le côté dessiné du film, le partager avec le spectateur. Un film en 3D, même si j’adore ça, nécessite un tel travail de modélisation, de texture, de rendus, d’ombres de lumières, etc. On ne pourra jamais obtenir ça sur une feuille de papier. Pour Ernest & Célestine, on voulait vraiment que le spectateur puisse se dire « Je prends une feuille, un crayon, et je peux faire ça », retrouver le plaisir du dessin.

Il a fallu s’approprier deux univers : celui de Daniel Pennac et celui de Gabrielle Vincent.

Sachant que Daniel Pennac ne voulait pas s’effacer derrière Gabrielle Vincent en adaptant purement et simplement les livres, mais lui rendre hommage. Il a pris la liberté de mettre son style, sa patte sur le film, pour qu’il évolue et rejoigne l’univers de Gabrielle Vincent. Le film commence dans un monde sombre, cynique, dur, séparé en deux mondes qui se détestent, avec des principes très agressifs, et ces deux personnages un peu en dehors de tout se rencontrent et fondent l’amitié que l’on retrouve dans les livres de Gabrielle Vincent.

Mais vous avez réussi à trouver votre place entre les deux ?

Ca n’a pas été évident, il y a eu un petit moment de schizophrénie où je commençais un peu à perdre le fil, parce que c’étaient vraiment deux univers très très forts, sans compter celui de Vincent et Stéphane. Moi j’ai pu trouver ma place parce que ça faisait partie de nos points communs. Ca a été un long travail de remise en question, mais qui s’est fait naturellement malgré tout. Il fallait prendre le temps de comprendre le scénario, de comprendre où on voulait aller et quels étaient les meilleurs choix.

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Et en termes de dessin, avez-vous eu une certaine appréhension dans le fait de vous approprier des dessins qui ne sont pas les vôtres ?

Beaucoup, car c’est une artiste peintre talentueuse. C’est impossible d’être à la hauteur de son talent, donc il faut travailler différemment. Sans réinterpréter, il fallait faire passer l’adaptation par la spontanéité des dessins, mettre en avant le fait qu’on adaptait l’esprit de Gabrielle Vincent plutôt que ses livres. On ne cherchait pas à faire une imitation mais à retrouver le plaisir qu’elle avait à dessiner. Mais toute la garde-robe d’Ernest est celle des livres, il y a énormément de clins d’œil. Tous les objets de la maison sont issus des livres, certains tableaux de la cave sont des tableaux de Gabrielle Vincent…

Au début du film, l’ambiance est très sombre : on pense à La Cité des enfants perdus, de Caro & Jeunet, ou aux Trois Brigands, de Tomi Ungerer. Est-ce que ce côté noir a été compliqué à marier avec un univers jeunesse ?

Ernest & CélestineCa l’a été parce qu’il fallait trouver graphiquement comment on allait l’adapter. Mais on ne se posait pas la question de savoir si ça allait faire peur ou non. On savait que ça allait faire peur et c’est ce qu’on recherchait. On voulait que le dortoir du début du film soit effrayant. Pour moi ce n’est pas du tout incompatible avec le fait que ce soit un film pour enfants. Je me souviens des terreurs que j’avais en regardant La Belle au Bois dormant mais pour autant, je ne voulais surtout pas que ma mère arrête le film !

Il y a aussi des choses plus adultes comme l’évocation de la peine de mort, le côté ambigu que peut avoir la relation entre Ernest et Célestine…

C’est surtout Daniel qui a mis ça en place, et on a tout fait pour le garder. En fait, on ne se posait pas la question en termes de film pour enfants, ou pour adultes, ou pour tel ou tel public. Je suis très amateur de films pour enfants, j’ai toujours une grande joie à les regarder. Et c’est la même chose pour Vincent et Stéphane, on a un rapport à l’enfance particulier. On se servait surtout de souvenirs d’enfance pour évoquer certains choses, certains sentiments, des malaises ou des plaisirs.

Vous n’avez pas ressenti de pression de la part de producteurs ou distributeurs pour faire un film plus naïf, ou « mignon » ?

J’étais très étonné, je m’attendais à ce qu’il y ait beaucoup plus d’intervention de la part de la production. Et en fait, on nous a laissé les mains libres. Didier Brunner regardait régulièrement l’avancée du travail et nous disait que c’était exactement ce vers quoi il voulait aller. C’était une vraie surprise par rapport au projet, il ne s’attendait pas à ce qu’on rende un tel hommage au dessin. Il pensait faire quelque chose d’un peu plus mainstream mais quand il a vu qu’on était parti sur quelque chose de très aquarellé, dans une animation un peu plus particulière que ce qu’on voit aujourd’hui, il nous a dit « Foncez, allez dans cette direction-là, on adore ! » On a eu plus d’encouragements que de restrictions.

Vous parliez d’un pilote, c’est un passage obligé pour monter un film ?

En animation en France, oui. A part pour des grosses productions comme Titeuf, qui je pense vont avoir assez de bagout pour vendre leur projet, et obtenir des financements. Pour Ernest & Celestine, on a dû faire un pilote pour prouver – et ça a été un très bon exercice – et tester l’univers graphique, voir comment ça fonctionnait et comment le mettre en place techniquement. En France et en Europe, il faut passer par là pour trouver les financements. Après, par exemple, Vincent et Stéphane, pour Panique au village, avaient la série pour leur servir de pilote. Lorsqu’on veut développer une œuvre originale, il faut au moins une bande-annonce en amont pour donner l’intention du film.

Pensez-vous qu’il existe un courant français ou européen de l’animation, qui est très différent de l’animation 3D ?

Oui, parce qu’il n’y a pas de studio. Enfin, maintenant si, avec Mac Guff, qui a fait Moi, moche et méchant. Mais en France, on n’a pas vraiment de studio qui développe un savoir-faire qui pourrait être réutilisé dans différents films. A chaque projet, il faut trouver les bonnes personnes, reconstruire une équipe, trouver le bon fonctionnement et la technique qui suit derrière. L’avantage est qu’on a une liberté de création très forte : on travaille sur des projets très différents les uns des autres. L’inconvénient, c’est qu’il faut chaque fois recommencer à zéro, trouver un lieu. Le plus gros problème, c’est qu’on a des difficultés à réunir toute la production du film dans un même endroit. On a eu la grande chance pour Ernest & Célestine d’avoir toute la production en France, ce qui permet quand même de conserver une qualité.

Mais ce courant émergent est-il suffisamment en train de se développer pour espérer devenir une force ?

Espérons que le cinéma d’animation continue et conserve cette qualité. Après, je n’ai pas vraiment de préférence, pour un studio français. Je pense qu’il faut garder les deux : développer un savoir-faire, mais rester ouvert et garder cette liberté graphique forte.

Pour la suite, vous vous lancez tout seul dans un long-métrage ?

Ernest & CélestineJe ne sais pas encore. Et puis, j’ai craqué en proposant à Vincent et Stéphane de leur donner un coup de main sur Pic Pic et André qu’ils sont en train de développer en long. Ernest & Célestine s’est terminé il y a un mois, donc je suis encore dedans, je n’ai pas le recul nécessaire pour savoir ce que je ferai ensuite. Pour l’instant, je suis curieux de connaître le retour du public, de savoir comment il va interpréter nos choix, cette technique d’animation… Et des projets personnels, j’en ai, mais je vais attendre un peu. Je sais qu’aujourd’hui je suis capable de réaliser un long-métrage seul, mais j’ai aussi très envie d’apporter ma pierre à l’édifice sur les projets de mes amis, et notamment le projet de Vincent et Stéphane.

Justement, comment avez-vous vécu les projections à la Quinzaine, notamment celle en présence des enfants ?

En liquéfaction. C’était une première projection publique avec des enfants… J’étais complètement stressé, au début, je n’étais vraiment pas bien. Même si ça se passait bien, j’ai cru que j’allais m’évanouir. Ce que j’ai vraiment aimé c’est que Cannes organise cette projection enfants, cette volonté de présenter le film à son public. C’était un vrai plaisir. C’est un peu le meilleur moment du film, on ne peut pas rêver mieux comme démarrage.