Rencontre avec Tony Gatlif

 

Gage d’engagement

Tony GatlifLe réalisateur Tony Gatlif est le parrain de la nouvelle édition de Visions sociales, le festival des films engagés de Cannes qui se tient jusqu’au 20 mai. Projections, débats et exposition sont au programme. Et nul autre que le réalisateur de Gadjo Dilo pour incarner un tel festival. Il nous explique pourquoi le cinéma engagé a plus d’importance que jamais.

Pourquoi avoir accepté d’être le parrain de Visions sociales ?

Je n’aime pas me mettre en avant quand je ne présente pas de films. Etre parrain, c’est un peu grandiloquent. C’est Anna Defendini, la responsable de la programmation de Visions sociales qui m’a demandé de le faire l’année dernière. Je n’étais pas pour au début, mais elle m’a dit que des gens comme Agnès Varda l’avaient fait auparavant. Elle m’a expliqué qu’il s’agissait de la projection de films engagés qui n’ont aucune chance d’aller dans d’autres festivals d’auteurs et qui parlent de notre société. J’ai alors accepté, car cela montre ce que le cinéma peut apporter dans la société par rapport à notre monde. C’est ma préoccupation principale lorsque je fais des films.

Quelle est votre définition d’un réalisateur engagé ?

C’est quelqu’un qui se sent possédé par une mission qui lui tient à cœur et qui en fait un film, sinon il en meurt. Il ne fait pas un film pour l’argent, ni pour la gloire, mais pour montrer une situation qui se dégrade. Le cinéma n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui.

Quels sont les derniers films engagés que vous avez vus et qui répondent à cette définition ?

Ceux de Ken Loach. C’est le cinéaste engagé par définition, selon moi. C’est quelqu’un qui ne peut pas dormir s’il ne fait pas de film sur les gens qui sont maltraités en Angleterre.

On dit que Geronimo est votre long-métrage le plus engagé…

C’est toujours sur les Gitans, mais c’est effectivement mon film sur eux qui est le plus engagé. Un film moderne qui parle d’aujourd’hui.

Allez-vous pousser le curseur encore plus loin pour votre prochain film ?

Oui, sûrement, mais ce n’est pas moi qui le pousse, c’est la société. Quand je vois des gens qui tirent sur d’autres, c’est une injustice totale, tout comme c’est terrible ce qui se passe aux frontières de l’Arabie, avec des femmes enchaînées qui sont vendues notamment à des Européens. C’est pire que tout, on a touché le fond. Sans oublier toutes ces personnes qui se réfugient dans des bois, qu’on voit sur les routes, ce sont presque des zombies… Et ils sont des millions ! C’est comme si on assistait à un péplum de Cecil B. DeMille comme Les Dix commandements, mais aujourd’hui, il n’y a personne qui peut ouvrir les mers comme Moïse juste avec la foi. La foi n’ouvre pas les mers, sinon elle aurait ouvert la Méditerranée. Au contraire, elle engloutit ceux qui l’empruntent pour se sauver. Il y a tellement de choses à raconter. Mon prochain film, ce sera un constat sur le monde qui ne m’a jamais autant horrifié. On vit dans une guerre sociale…

En tant que réalisateur, comment percevez-vous l’actualité, notamment ce qui se passe en France ?

Je me sens très préoccupé. Quand j’ai commencé à faire du cinéma, c’était après Mai 68 et les histoires au cinéma n’étaient pas les mêmes que maintenant. Je préférerais avoir 25 ans et être cinéaste aujourd’hui, car il y a tellement d’histoires importantes et de sujets à raconter autres que des histoires d’amour, comme les banques, la société, l’argent. Tout est problème, nous sommes dans une cocotte-minute qui menace d’exploser… L’important, c’est de montrer ce qui se passe en prenant une caméra. C’est ce que je dis aux jeunes, car on est encore trop peu à faire du cinéma engagé, autre que le divertissement qui domine. L’argent n’est pas mon but, surtout que l’argent que rapportent les films n’est pas pour le peuple. C’est le cinéma d’échange qui est génial.

Vous parlez d’une certaine jeunesse, comment la percevez-vous ?

La jeunesse qui peut se battre, qui cherche une nouvelle raison de vivre, qui veut changer le monde et comprendre comment il marche, n’est pas en France. Elle est à l’étranger. Aller à la rencontre de l’autre est tellement plus facile à notre époque ! J’ai beaucoup voyagé et je parle à ces jeunes dans différents pays. Ils communiquent facilement entre eux et se rendent compte de ce qui se passe. Ils s’aperçoivent que c’est la même chose ce qu’on vit en France ou au Mexique.

Qu’attendez-vous de ce festival engagé ?

Qu’il parle aux autres, à des gens qui vont échanger des idées au sortir du film, qu’ils se sentent un peu plus intelligents et heureux, grâce à des sujets intéressants qui racontent quelque chose, qui donnent envie d’être utile, surtout avec ce monde dans lequel nous vivons.

N’est-ce pas paradoxal que ce type de cinéma se retrouve au Festival de Cannes qui met aussi en avant une certaine superficialité ?

Je pense que ça va avec, car le cinéma de la Croisette est un cinéma qui a les mêmes fonctions que le cinéma de Visions sociales ou d’autres festivals qui projettent des films engagés. Les films de Cannes sont sélectionnés par des gens qui ont encore l’âme cinématographique, de la culture. Thierry Frémaux connaît très bien le cinéma international d’auteur, il gère le musée du Cinéma de Lyon et projeter des films de Ken Loach, c’est quelque part aussi faire partie d’une vision sociale. Un film social, ce n’est pas pour moi une recette, filmer la pauvreté, jouer avec l’émotion, prendre un sujet larmoyant… Un réalisateur engagé n’est pas avide d’argent ou de célébrité, il partage la parole avec tout le monde.

Avez-vous vu les films projetés à Visions sociales ?

Pas tous encore. On a beaucoup parlé de Merci patron !, c’est très bien qu’il existe, ainsi que Comme des lions qui est vraiment bien. Il y a aussi La Sociale. Et j’ai vu des courts-métrages de réalisateurs très jeunes, issus de banlieue, qui sont vraiment très beaux. C’est un cinéma délicieux.

 
Festival Visions sociales, du 14 au 20 mai 2016, 06210 Mandelieu-la-Napoule
www.ccas-visions-sociales.org