Yossi, d’Eytan Fox

 

Yossi, de Eytan FoxA travers Tu marcheras sur l’eau et The Bubble, deux films bouleversants, Eytan Fox sondait joliment la société israélienne et ses évolutions. Avec Yossi, son nouveau long-métrage, il poursuit son engagement et ses marottes. Par le biais de portraits émouvants, le jeune réalisateur dresse des ponts entre l’intime et l’histoire douloureuse de son pays. En filmant avec beaucoup de sensibilité des êtres à des charnières de leur vie, il ausculte ses thèmes de prédilection : l’armée ou la guerre comme incontournables de l’Etat d’Israël, la mort en ligne de mire ou comme traumatisme, le désir de vivre qu’il soit exacerbé ou étouffé, l’homosexualité.

Avec Yossi, le cinéaste reprend une de ses premières réalisations, Yossi et Jagger (2002), romance tragique tirée d’une histoire vraie où le fol amour entre deux jeunes officiers de l’armée israélienne est pulvérisé par les affres de la guerre. Dix ans après la mort de Jagger, qu’est-il arrivé à Yossi ? Qu’est-il devenu ? C’est à cette question que répond le nouvel opus d’Eytan Fox. Ou comment recommencer sa vie, repartir de zéro quand on est dévasté, que l’on gît à terre. Depuis des années.

Yossi, toujours magnifiquement incarné par Ohad Knoller (qui interprétait le rôle dix ans auparavant), est un cardiologue reconnu, mais il semble survivre, asphyxié par une tenace mélancolie. A l’image d’une des premières scènes du film où le spectateur le surprend en train de se masturber devant un site porno gay, il n’a pas de vie. Refusant la possibilité d’être heureux. Mal dans sa peau, accusant quelques kilos en trop, il n’assume pas vraiment son homosexualité (il ne dit rien à sa secrétaire aveugle et déterminée qui lui propose régulièrement des rencards). La première partie du film, assez lente et délicate, nous plonge dans le quotidien maussade d’un être errant. Traumatisé par l’impossible deuil de son amour de jeunesse. Que ce soit la répétition d’une même séquence de sieste à l’hôpital entres deux gardes ou la mise en scène d’une rencontre vide de sens avec un mec rencontré via Internet, tout concourt dans ce début de film à mimer l’insignifiance de sa vie. Une renaissance semble difficile, voire impossible tant il n’est plus habitué à l’idée même du bonheur. Tant il est muré dans sa solitude, terré au fin fond du degré zéro des relations humaines et amoureuses.

Puis, sans pourtant constituer un virage fracassant, presque sans faire de bruit, le désir de vivre va s’insinuer à nouveau en Yossi, au détour d’un voyage dans le sud du pays. A l’occasion de la rencontre d’un groupe de jeunes militaires et précisément de Tom (le bellâtre Oz Zehavi), gay lui aussi. A son contact, il va réapprendre à aimer, à vivre. Avec beaucoup de délicatesse et de pudeur la caméra d’Eytan Fox suit la naissance d’un coup de cœur, l’éclosion d’une belle histoire d’amour. Au rythme lancinant de la voix déchirante de Keren Ann qui compose une bande-son éthérée. L’artiste fait d’ailleurs une apparition à la fin du film lors d’un concert où elle entonne des chants traditionnels israéliens. Comble de l’émotion.

Yossi a changé. Tout comme Israël, qui apparaissait dans Yossi et Jagger comme un Etat très militaire et machiste où il fallait devenir un dur, un mec, un vrai, et pour cela être hétéro. Dix ans plus tard, l’armée semble plus tolérante. Tom semble y vivre plus librement son homosexualité. Un joli message d’espoir donc. Sur l’émancipation de la société israélienne et la renaissance d’un homme brisé.

 
Yossi d’Eytan Fox, avec Ohad Knoller, Oz Zehavi, Lior Ashkenazi, Orly Silbersatz Banai… Israël, 2012. Sortie le 2 janvier 2013.